Philippe Rahmy, en souvenir

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« Le temps qu’il fait dans ma tête »

« Philippe Rahmy est mort ce soir à 18h ». Le choc de l’annonce soudaine sur facebook et le chagrin immense qui ne me quitte pas depuis.

J’ai connu Philippe sur le site de Remue.net, et me souviens en particulier de ce texte de lui que François Bon avait posté « Le temps qu’il fait dans ma tête » et qui m’avait troublée. Nous avions échangé autour de la création et de nos projets littéraires respectifs par mail. Quelques mois plus tard, le hasard me faisait le croiser à Paris, sur le marché de la poésie, alors même que je ne savais rien de lui sauf qu’il était en fauteuil roulant. Nous nous étions reconnus, spontanément, au détour d’une allée, et on ne saura jamais comment ni pourquoi.

Je veux croire que les êtres qui se croisent un jour par hasard, sont voués à se retrouver encore. Si nos trajectoires s’étaient croisées et même si elles ne devaient en rester qu’à ce seul instant, elles allaient « s’encrer »comme cette craie qui a suscité son texte, dans ce quelque chose d’ineffable qui se répéterait fatalement un jour. C’était une rencontre enthousiaste qui m’avait donnée à voir son sourire, son regard pétillant, son extrême gentillesse et une sensibilité que je reconnus aussitôt et qui ne m’ont depuis jamais quittée.

Cette rencontre sans témoin, sans promesse de nous revoir sauf sur Remue.net, sans amitié fixée autre que par celles de la grâce du virtuel au départ et ensuite, inscrite dans nos silences avant et après, dans nos discrétions pudiques, dans l’ignorance de nos vies respectives, comme s’il nous était inutile de parler ce que, de toute façon, nous savions déjà intuitivement de l’un et de l’autre, amorce d’une expérience la mieux partagée entre toutes, l’amitié, de ces rencontres dont le ciel vous fait la grâce car croiser un tel être est rare. C’était en 2002. Une parenthèse de dix ans et j’ai retrouvé Phil sur les réseaux sociaux à nouveau par hasard. Le silence de dix longues années n’avait rien entamé, ni le souvenir ni le fil invisible de cette amitié improbable. Et par une communication que l’on connaît tous aujourd’hui, faite d’allers et retours, d’absences, sans que jamais nos routes ne se recroisent physiquement, se continuait ce lien qu’il savait entretenir avec chacun. Je n’ai fait que frôler ses ailes de papillon. J’ai différé souvent le moment de lui écrire (ses « pokes » sur facebook me faisaient sourire, j’y répondais toujours en retard)  comme si la mort jamais ne guettait. Lui que l’on disait en sursis à cause de sa maladie terrible mais qui prenait la vie avec tellement de désinvolture et de légèreté.

Et soudain ce que nous ne pouvions ou voulions imaginé, a déboulé tel un bulldozer, et comme à chaque fois que l’on perd quelqu’un qui compte, c’est « la fin du monde », « chaque fois unique ». Ce que tu as emporté avec toi à cet instant c’est tout ce monde que tu donnais à voir, à aimer, à tes intimes, à tes amis, proches ou lointains, celui que tu as vécu, composé de bouts du nôtre, à chacun unique et désolé. Tu demeures en nous -chacun portant sa mémoire de toi pour lui seul, à jamais fantôme vibrant et vivant tel le monarque envolé ce dimanche à 18h. Et désormais tu nous regardes tous depuis ton altérité élargie, tu vois en nous, et au-delà de chacun.

Etre dans la vie et seulement ça, tu m’aurais dit.

Nos routes n’ont fait que se croiser mais nous étions subtilement proches et présents l’un à l’autre et d’une façon singulière. On peut réfléchir aux liens qui nous relient les uns aux autres avec ou sans parole. Il y a une infinité de possibles. Le silence en est un. Tu le savais toi qui m’écrivais dans ta dernière dédicace : « ces monarques [sont] les expressions, images de nos silences communs qui chacun sur sa trajectoire solitaire, ont trouvé un passage vers le livre, avec toute mon amitié, Philippe». Avec la mort disparaît comme disait Blanchot, « tout ce qui sépare ». Lointains dans l’espace mais proches toujours et plus que jamais, la ligne de séparation entre nous s’est effacée définitivement.

Il m’était nécessaire de te parler une dernière fois. Je n’ai jamais su parler qu’à mes morts.

Je fais trembler ces quelques mots encore frais au bout de ta langue, ceux posés dans Monarques : « Voilà ce qu’il m’est donné de faire, traduire le silence qui survit à la disparition des corps. Je recueille le secret d’un autre, je prends quelque chose en cours, comme on prend un train en marche. ». Et je parlerai de ce livre pour t’entendre me dire de là-haut, ta reconnaissance encore, comme dans un de tes derniers messages : « Chère Marie-Josée, je découvre ta lecture d’Allegra ce matin, ici dans les Everglades, si loin de Paris et de Londres, si proche, pourtant, à bout touchant et à fleur de peau, car l’Atlantique, cette masse d’air et d’eau que je croyais pouvoir amortir les effets de la réception de mon livre, agit au contraire comme un pont, et je te lis comme si nous étions face à face, et traverse ta propre lecture comme un paysage déployé où il m’est impossible de me cacher, où je n’ai plus besoin de me cacher, je te lis avec reconnaissance, avec beaucoup d’émotion. Je te remercie du fond du coeur de prendre ainsi mon livre sur tes épaules, ou à bout de bras, pour le présenter aux autres. À toi, mon amitié, philippe »

Entendre cette voix que tous nous regretterons mais que nous porterons en nous, toujours.

Je t’ai écrit une dernière fois pour ne pas réduire la mienne à la seule réalité de ton œuvre. Tu venais de m’envoyer Monarques et d’habitude je te remerciais aussitôt. Cette fois, j’ai retardé ma lecture, et préféré attendre de l’avoir lu pour t’envoyer un message. C’est un dernier don, un dernier présent.

Ce livre était la promesse de tellement d’autres à venir encore, et c’était ce que je voulais te dire sans en avoir eu le temps.

« La maison est en paix. La lumière attire un papillon qui me rappelle au contact physique de l’air libre. Ma pensée, métaphore de la vie, se détache de la terre. J’oublie que je sais que ceci est mon corps quotidien. Quand cette heure touchera à sa fin je lui disputerai ses ailes ».
Philippe Rahmy, « Mouvement par la fin : un portrait de la douleur », Cheyne, collection Grands fonds, 2005.

 le 04/10/17

phil@Philippe Rahmy

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Monarques

Philippe Rahmy

Editions La Table Ronde, sept 2017

« Vient le jour où l’enfance prend fin « , ce sont les premiers mots du livre. Philippe Rahmy fait retour… et avec le désir d’écrire après la mort du père, son histoire.

Derniers regards jetés par dessus les paysages du plateau vaudois, avec plus loin encore, le Lac Léman et il embarque pour Tel Aviv, « la ville dont Herschel a tant rêvé, sans jamais l’atteindre ». Herschel c’est Herschel Grynszpan dont le meurtre commis sur la personne d’un diplomate allemand déclenchera la nuit de Cristal, « précipitant le peuple juif dans l’histoire contemporaine ». Philippe Rahmy découvre l’histoire de cet adolescent allemand « perdu dans son époque » qui, par ce geste désespéré -après le déportation de sa famille- veut avertir son peuple des premières persécutions. Le même jour, il apprend que son père est à l’agonie. Durant trente ans, il va porter ce livre comme un mystère, cheminant sur les nombreux chemins encombrés du passé de sa famille, sa mère luthérienne allemande, fille d’un médecin nazi et d’une Juive convertie au protestantisme, son père né d’un père égyptien assassiné, et dont le nom Rahmy signifie en arabe « le miséricordieux ». Cherchant des réponses, il regrettera la sagesse de son père alors il « invoque[ra] ce musulman humaniste : comment, père, faire obstacle à la haine ? »

Son père lui a enseigné le Coran et un islam tolérant « inspiré par le soufi égyptien Mohamed Abduh, réformateur progressiste opposé à tout littéralisme », et pour lui, seule la miséricorde qui régit les rapports humains est toute-puissante. Quand il questionne le pasteur, celui-ci tente de lui expliquer le sens du mal, de la souffrance de son père et de sa maladie à lui dont il disait dans Béton armé « je suis né sans espoir de guérison » ; et sa mère lui parle de son peuple qui a beaucoup souffert et porte le poids d’un péché. Il contournera tout et s’inscrira dans une passion pour l’égyptologie qui lui fera désirer faire l’Ecole du Louvre. Le voilà parti pour Paris, lui l’enfant fragile. L’enfant aux os de verre survivra à son père et à son meilleur ami, mort adolescent, mais portera cette douleur : « J’étais indigne de vivre, moi si fragile, qui avais démenti les plus sombres prédictions de la médecine […] Je bouillonnais, maudissais terre et ciel, Dieu et le diable. Il était prévu que je périsse rapidement, esquisse d’individu voué à faire un ou deux tours de piste, avant de retourner dans le grand rien. Inexplicablement, la jeune pousse avait pris racine. »

C’est L’homme révolté de Camus qui l’accompagne dans l’avion pour Israël, sans qu’il parvienne à adhérer à son propos, mais c’est encore Camus qu’il interpelle vers la fin, avec cette fois Le Premier homme : « Il y avait un mystère chez cet homme, et un mystère qu’il voulait éclairer ». Il cite cette phrase qu’il a « aimée au premier coup d’oeil », et on comprend pourquoi. C’est à Grynszpan qu’il pense sans doute, mais à lui aussi. « Je suis né couvert de fractures. Ma mère m’a embrassé, je n’ai senti que douleur. Il se peut que je sois resté cet enfant désorienté, incapable de distinguer le bien du mal. Il se peut que je me sois attaché à Herschel Grynszpan parce que j’ai reconnu en lui un frère. » Il aurait voulu « rester l’Arabe Rahmy qui s’adresse au Juif Grynszpan par-dessus un mur infranchissable. Que les camps soient bien délimités. Lui d’un côté, moi de l’autre. », mais rien ne serait venu au jour par l’écriture de ce qui le reliait à cet adolescent auquel il a fini par s’identifier, et c’est à la rencontre de Herschel qu’il part pour Tel-Aviv, « pour essayer de le comprendre ».

« Oh, père ! Toi l’Egyptien dont j’ai recueilli le dernier souffle, je t’aime, cœur battant. Je poursuis Herschel Grynszpan, en Israël mais c’est toi que je sens à mes côtés, dans cette froide lumière d’aéroport. ».

Les origines, l’identité, le corps, la souffrance universelle déjà dans Béton armé et dans Allegra, le puzzle des souvenirs, ceux de l’enfance, et d’avant l’enfance, et cette quête d’une humanité, d’une fraternité qui le reliait à chaque être qu’il rencontrait, c’est ce qui constitue cette œuvre dense qui nous manquera. Et les monarques tournoient dans la nuit chaude de la méditerranée, ils s’élancent à l’assaut des Alpes, fragiles dans leur « robe orangée et noire, tachetée de blanc », mais dotés d’une acuité exceptionnelle. « Le monarque, nous dit Philippe, est un rêve éveillé », il est « l’emblème des rêveurs car il est pur désir de voyage ». Il était assurément son emblème depuis toujours.  « Quand cette heure touchera à sa fin je lui disputerai ses ailes ». (Mouvement par la fin : un portrait de la douleur)

 

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  • Monarques, Editions La Table ronde, septembre 2017

  • Allegra, Editions La Table ronde, janvier 2016

  • Béton armé- Shanghai au corps à corps, Editions La Table ronde, préface Jean-Christophe Rufin de l’Académie française, septembre 2013 (Mention spéciale du Prix Wepler-Fondation La Poste 2013, Meilleur récit de voyage, Sélection Lire 2013)

  • Corps au miroir, avec Sabine Oppliger, Encre et lumière 2013
  • Cellules souches, avec Stéphane Dussel, Mots tessons, 2009
  • Movimento dalla fine, a cura di Monica Pavani, Mobydick, 2009
  • SMS de la cloison, publie.net, 2008
  • Architecture nuit, texte expérimental, publie.net, 2008
  • Demeure le corps, Chant d’exécration, Cheyne Editeur, 2007
  • Mouvement par la fin, Un portrait de la douleur, Cheyne Editeur 2005 (postface Jacques Dupin, prix des Charmettes/jean-Jacques Rousseau 2006)

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Précédemment…

allegra

C’est sur une image que s’ouvre Allegra, le roman de Philippe Rahmy, celle d’un lion majestueux qui regarderait le monde, notre monde, installé sur une branche et d’un regard las et désespéré, un lion qui, pourtant, a encore la force de rugir, à l’aube.

L’existence d’Abel, jeune français d’origine algérienne est traversée par la mort, désir et ombre, par l’errance et la fuite tout autant que la quête, dans une course (à la vie, à la mort, à l’identité même) dans une époque, la nôtre, où tout va vite et nous rattrape sans cesse. Ca court, ça hurle, le rythme du texte est celui d’un temps traversé entre retours en arrière et souvenirs ; d’analepses en anamnèses, celui d’un individu qui ne désirant que s’intégrer, réussir et être heureux avec sa petite famille, court à sa perte. Et sa voix nous délivre l’angoisse qui le traverse depuis son enfance où déjà « il voulait disparaître »- entre un père bien intégré en France, dans sa boucherie où Abel expérimentera ses premiers traumatismes, et ses premiers contacts avec le froid de la mort. Pourtant Abel avait tout pour réussir, un doctorat en Mathématiques, une femme magnifique, une fille qu’il adorait, un ami d’enfance qui lui a offert son premier poste à Londres où il s’est installé avec Lizzie et Allegra. D’un événement qui ne nous sera dévoilé qu’en toute fin va découler la chute d’Abel. Sa dépendance à l’alcool, on sent bien qu’elle est celle d’un être fragile. C’est à cause d’elle qu’il va tout perdre, et qu’il se laissera entraîner dans un cercle infernal, à la frontière de l’extrême violence, jusqu’aux portes d’un hôtel où il va prendre chambre et croisera les plus déshérités que fabrique notre époque, des êtres perdus, des migrants, des réfugiés en grand nombre,  où il attendra l’ouverture des Jeux Olympiques de Londres pour accomplir le pire.

Ce que dit Allegra c’est la brutalité d’une époque, les retours de bâtons de l’histoire, les difficultés psychiques de la question d’appartenance à une identité plutôt qu’une autre, de cette nécessité empoisonnée. Ce que dit Allegra c’est la souffrance que ces difficultés provoquent, et jusqu’à quels extrêmes elles peuvent conduire. « Immigré, je ne l’étais pas vraiment, du moins, pas au sens où on l’entend. J’étais né en France et l’Algérie ne faisait plus partie de notre quotidien. Contrairement aux autres gosses du quartier, je ne retournai pas au pays durant les vacances. Je ne recevais pas de cadeaux par la poste à mon anniversaire. Je flottais sans attache au-dessus du sol. Cet état d’apesanteur a nourri mon besoin d’appartenance. »

Allegra c’est l’histoire d’un homme qui par désespoir va rencontrer la colère qui a grandi en lui alors qu’il croyait la combattre. C’est une histoire parmi toutes celles de tant d’êtres privés d’espérance, pour tenter de comprendre la violence que la souffrance peut produire en nous, nous faisant devenir tour à tour victime ou criminel. Lizzie l’appelait Lafcadio, ce personnage des « Caves du Vatican » d’André Gide, assassin sans cause, prisonnier d’une mystique de l’acte gratuit. »

C’est pourtant un mot qui s’apparente à la « joie » que porte le titre de ce roman. « Allegra » renvoie bien à la vie, la vivacité, à tout ce qui est léger aussi. Allegra c’est « le salut qu’on échange en se croisant sur ces sentiers de plein ciel » dans une vallée d’un canton suisse des Grisons dira Lizzie, c’est le prénom qu’elle voulait pour sa fille. Sans doute parce qu’il symbolise l’innocence, et il faut l’espérer avec l’auteur, ce que peut la littérature, par l’incarnation de l’innocence d’une enfant, c’est instiller la légèreté qui nous fait tant défaut depuis pas mal de temps et, aujourd’hui plus que jamais, l’espérance dans le cœur des hommes.

Extrait :

« On écoute Norlay. On entend hurler les naufragés. Chacun compare cet immense appel à l’aide au tumulte de sa propre détresse. Norlay poursuit son récit. Je suis incapable de donner un visage à mon grand-père.  Chaque fois que je pense à lui, un tourbillon m’engloutit. Longtemps, ce fut un tourbillon d’alcool. Et puis, à force de me noyer dans le passé, je suis revenu au présent. J’ai trouvé Dieu et, à travers lui, je me suis découvert une passion pour l’homme. J’ai porté secours aux naufragés de Lampedusa durant plusieurs années, puis j’ai craqué. Je me suis mis à boire. J’ai quitté l’Italie et ses drames. Je suis rentré à Londres. J’ai ouvert un centre pour réfugiés. »

(article publié initialement sur mon blog Autre monde, le 31/12/2015)

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Béton armé – Philippe Rahmy

Editions La Table ronde – sept 2013

 Ce qui frappe tout de suite et fascine, à la lecture du livre de Philippe Rahmy, Béton armé, c’est la force de vie et de mort qui parcourt le texte. Vivre, mourir, survivre et voyager, toujours au bord, d’une rive à l’autre. Entre souvenirs, plongée intérieure, exploration extérieure, le voyage au cœur de la ville devient un voyage au centre de soi-même dans des descentes infernales.

L’écrivain, atteint de la maladie des os de verre n’a jamais voyagé, « Je suis né sans espoir de guérison ». Il a accepté pourtant une invitation pour une résidence d’écriture à Shanghaï et c’est une véritable aventure qui nous attend, et qui l’attend, d’autant que dans son cas, « voyager aussi loin [lui] donne un aperçu de ce que serait vivre toujours ».

Un voyage dans la ville et dans la vie, oui, un défi, la vie contre l’immobilisme, contre la mort. « [Le] voici à Shanghaï, un grand vide dans une enveloppe de béton armé », un voyage dans une mégalopole, au centre de lui-même, au cœur même de l’écriture, « l’écriture, traduction du silence intérieur, la ville, affirmation bruyante du monde ».

Car il s’agit bien de « voyager à travers le langage comme à travers le paysage ».

Dire la ville, la scruter de tous ses yeux, ceux de l’âme et ceux du corps. Entrer dans la touffeur de la ville, dans la traîne du ciel mouvant, en état de grâce, « l’inconnu n’existe pas ».

Et soudain quelque chose se produit dans l’écriture même.

La méditation sur la ville se fait incursion intérieure. C’est la vie souterraine qui s’impose, qui remonte à la surface, les origines, l’identité, les puzzles des souvenirs d’enfance, « quelle place faire à la mort en soi pour écrire ? » Shanghaï fantasmée, érotisée. « Shanghaï et moi avons le même goût pour la violence ».

Par la grâce d’une description de la ville au scalpel, Philippe Rahmy nous enveloppe dans le silence cotonneux de ses mots et nous offre son « impression de vivre un rêve éveillé ». La violence qui parcourt le texte est sexuelle, physique, on l’éprouve dans nos corps, même et surtout lorsqu’elle prend en référence le totalitarisme politique, cependant que la poésie toujours, parvient à se glisser entre les lignes, comme au milieu de fusées d’artifice, le jour de la fête de la lune, quand « l’hiver glacé d’éclairs, le printemps bourdonnant, l’été incandescent, puis l’automne interminable, un voile de braises tendu sur l’horizon » atteint au bouquet final.

Nous avançons -tendus vers ce qu’il nous restitue- avec lui, seul point sur la plage, « au milieu de cette étendue immense, uniforme », « inerte comme de la cendre », comme lui ou comme ce chien, « la truffe collée au sol », prêts à avancer dans cette ville ou dans nos vies, prêts « à creuser à en perdre haleine pour déterrer des os ».

Malgré les grondements de la ville, son agitation incessante, ses automates aux yeux délavés et mauvais, qui gloussent et se déplacent à grandes enjambées, on est l’oeil de l’observateur en perpétuel silence, dans la solitude de son être-là. « Qui refuse sa nuit vit en aveugle » nous prévient le narrateur. Aubes, réminiscences, incendies des souvenirs…

Et l’écriture se déploie dans l’observation et la précision, dans la douceur des mots, en une litanie de petites phrases précieuses comme des diamants purs. « On n’écrit jamais que sur des cendres ».

Les souvenirs affluent par analogie des choses vues, jusqu’au dernier… qui viendra briser la glace. « On écrit pour faire taire la bête en soi »…

Quelque part entre Shanghaï et un souvenir d’enfance, un seul murmure, une seule ombre dans la toile de Shanghaï ne s’est pas révélé. « Ami, frère, je t’ai cherché dans la foule chinoise comme si je marchais dans le royaume des morts ». Dans ce tableau de la ville, brossé de main de maître, un seul souvenir pourtant vivace, trop longtemps vivant  dans sa mémoire n’avait encore su se creuser un sillon, une promesse faite de ne jamais oublier. Par la magie de l’écriture révélée, le voilà éclaté aux quatre coins de Shanghaï. Désormais, délivré de cette nuit, libérant par là même l’ami, le frère, lui permettant d’accéder aux étoiles, il peut, lui, Philippe Rahmy, retourner parmi les vivants.

(Article paru initialement dans Paysages Ecrits n°20, le 6 janvier 2014et sur mon blog Autre monde)

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« Régler la pendule du temps qui nous sépare » j’avais écrit dans un de mes poèmes que tu avais lu quelque part, et tu me l’avais rapporté dans un de tes messages…

…il n’y a pas de hasard,  on se reverra,

Adieu mon ami.

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