LES MAINS BLEUES, Marilyse Leroux

Les mains bleues,

Marilyse Leroux

Editions Rhubarbe, 2022

Dans ce court ensemble de proses poétiques qui se tient comme un récit à part entière, Marilyse Leroux donne voix à une toute jeune femme, retenue dans son enfance et le souvenir de la perte de sa mère, comme d’autres, victimes de la guerre, au loin, dans son pays.

Tout ou presque pourrait bien être contenu dans cette phrase initiale :

« Un bateau passe, une mère, un père, une phrase. »

Le fleuve est comme le temps, comme les mots et les maux qui passent eux aussi, c’est pourtant lui le responsable, lui qui lui a ravi ce qu’elle avait de plus cher, sans lui permettre de se frayer un chemin où se réfugier :« Existe-t-il un point où tout se dénoue ? Sous les arches du fleuve, quelque chose se crée. Cela progresse, diverge et ouvre. Si c’est un chant, qu’il file. »

Car, ils demeurent inexprimés, ces « mots [qui] poussaient à l’intérieur de moi sans franchir la barrière de mes dents »-, ces mots qui renfermaient tout, la douleur et le combat de tous ceux qui partent par les chemins de terre ou de mer, et, quittent tout, en partant, parfois même la vie.

Composé de phrases brèves et concises -cinglantes de poésie et de lumière dans la noirceur de ce qu’elles révèlent- l’ensemble fait corps autour de celui de la jeune femme qui, désormais, « habite un monde entre deux mondes, une passerelle à peine où je peux avancer. »

Seules demeurent vivantes, ces mains, « brunes meurtries », ces mains « bleues à brasser le ciel », « qui ont gratté, semé, sarclé, toute une vie, un enfant dans le dos, le dos dans le sillon », ces mains de mère qui, dans son pays comme dans son souvenir, « bénissait la terre les soirs de grande lune » pour la faire grandir et la mettre en garde contre la fureur des hommes.

« On voudra boire l’eau de tes hanches, on voudra s’accrocher à tes bras comme un enfant trop nourri. Laisse tes hanches appeler la tempête, laisse tes seins appeler la pluie. »

« Va, ma fille, n’écoute pas les broyeurs d’os. N’étrangle pas le vent. Brûle tes prières sous ta marmite ».

Cette mère dont les paroles « agrandissaient la vie », elle l’a vue disparaître dans le fleuve et elle seule, l’a vue. Nous la montrant, elle la rend à la vie.

« Ma mère est morte. Je suis orpheline de sa vie, orpheline du regard de nos bêtes, orpheline de la terre sous nos doigts, des noms qu’elle donnait à tout ce que je voyais. Ma mère est morte. Je dois cesser de mourir moi aussi. »

Née à Vannes, Marilyse Leroux est auteure de recueils poétiques, de nouvelles, de chansons, ainsi que de récits pour jeune public.

Prix des écrivains bretons en 2014 pour Le Temps d’ici (Rhubarbe), et Prix Maram al Masri en 2018 pour Le Sein de la terre (La lucarne des écrivains).

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :