LE SOLEIL DES AUTRES
Pierre Perrin
Sinope Editions, 2022
Le soleil des autres ou la vie par procuration, n’est-ce pas celle qu’a vécue Henriette, mère de François ? Si seulement… elle avait pu accepter son sort, vivre cette vie et en rêver une autre. Le refuge dans le rêve et l’acceptation n’est pas si facile dans certains paysages rudes, surtout quand on a d’abord cru à ce rêve et qu’on l’a touché du doigt mais les aiguilles du temps et celles de la vie ont fait bifurquer les chemins. Frustrée, détournée de sa vocation, Henriette mena une vie parsemée de regrets et de reproches à l’encontre de son fils. Les reproches, pour lui forger le caractère et le mettre dans une voie plus sûre, plus tard ; les regrets surtout, ceux éternels de n’avoir eu la vie hors du monde paysan. Le maître n’avait-il pas dit qu’elle aurait pu être institutrice… Plus forte que les regrets, la frustration est devenue rance, renforcée par le malheur se démultipliant. L’enfant a cinq ans lorsque son père décide d’abandonner sa carrière de gendarme et de les ramener sur leurs terres. C’est grâce à l’amour de Chantal, sa petite camarade de classe , de huit ans jusqu’à l’université, hors l’affection d’un père également trop dur avec lui, que François grandira et « dans sa quête de vivre, l’enfant Sauget voulait croire « le soleil des autres » une bolée de miel. »
C’est le portrait d’une mère sans affection. Une mère qui « n’aime pas les bouches inutiles » et qui affame le chien devenu voleur de poules, le chien de l’enfant, Youpi -qu’elle fera tuer, Youpi sacrifié pour satisfaire ce voisin venu se plaindre, celui-ci l’égorgera sous les yeux horrifiés de l’enfant, caché un peu plus loin. L’enfant portera sa douleur, seul, sans soutien, et cette douleur, ce désespoir de vivre fortifiera sa conviction que c’est lui, finalement, qui constitue « aussi le malheur des parents. S’ils se détestent, c’est à cause de lui. »
Dans cette campagne d’après guerre, avec l’amitié ardente de Chantal, François regarde le monde qui l’entoure et ce milieu villageois où d’amour il ne trouve point ; jalousies, mesquineries, adultères sont le quotidien de ces hommes qui trompent leurs femmes, de ces femmes réduites à leur fonction de mère, de ces gens qui vont à la messe tout en s’insultant, se toisant, se cherchant des noises, et qui le pousseront à fuir et à se reconnaître dans la voix du prêtre dont le « Aimez-vous les uns les autres » lui fera accroire que l’amour existe bien quelque part. Celui-ci l’accueillera en sa demeure. Pourtant, « cette façon de l’accueillir, cette rondeur, ce miel… Comment ne pas subodorer l’encens ? »
Le séminaire choisira François ou l’inverse et ce sera sa rigueur et son austère quotidien qui le prendront dans des filets encore plus serrés.
L’aridité des caractères paysans, la rudesse et la goujaterie des hommes de la campagne, l’asservissement des femmes, les médisances composent le décor de ce récit de la vie de François et Chantal mais bien plus encore, celui de la frustration d’Henriette, à l’origine pour l’enfant de sa douloureuse avancée dans la vie, de cette mère qui a vécu sous le joug des hommes, le père, le mari, et aussi l’homme qui l’a violée ; cette femme qui n’a rien pu décider de son avenir après être partie, heureuse au bras d’un homme qui, lui, a eu le droit de changer de vie et de métier, préféreant le dur labeur des champs à celui de la ville. Et elle, bien obligée, de suivre les choix de son mari.
Est-ce la vie, est-ce la mère qui a dessiné le destin de l’enfant ?
DES JOURS DE PLEINE TERRE
Poésie 1969-2022
Editions A-Manar
Avec ce recueil de poèmes, Pierre Perrin nous propose une anthologie courant de 1969 à aujourd’hui. Rassemblant en cinq parties un parcours en poésie autour de la naissance, de l’amour, du sens de l’existence et de la mort, on y retrouve les thèmes chers à l’auteur. Mais aussi, la même écriture exigeante qui demeure comme une fenêtre sur le monde. « Je n’écris pas pour vivre. Je vis pour écrire. » Cette réflexion occupe la seconde partie de cet ensemble et aussi une bonne part de la dernière.
Dans l’enfance qui ouvre le premier recueil, on retrouve le malheur, la mère morte, cette femme à la vie étouffée qui fait œuvre dans le parcours du poète.
« Il est des enfances fraîches
Que restituent de calmes ondées
Ou de grandes étendues de lumière.
D’autres moins tranquilles creusent
Au secret un puits sans margelle.
On se penche, on ne discerne rien.
Cette eau-là ne désaltère pas.
Sa fraîcheur ne peut faire oublier
Que chaque goutte a dissout un cadavre. »
L’amour, la passion, la femme occupent le cœur de l’ouvrage et celui du poète ?
« Femmes à fendre en plein cœur la tempête et l’embellie, dans le même instant, le grain de votre pas, l’immobilité même, le jour, la nuit, vos mains traversent nos écorces.»
Beaucoup d’aphorismes et de réflexions sur ce monde absurde traversent l’ouvrage. Et dans la quatrième partie, de la souffrance en quantité toujours si large, qu’ily faut bien un « Ajout au Livre de Job ». Sont ici convoqués les Gazaouis mais l’Ukraine en sang, les Réfugiés et malgré tout, redevance faite aux écrivains, aux poètes : Cadou « Un bruissement d’eau claire sur les cailloux », Reda « Celui qui vient à pas légers », Perol et son exil, mais encore Courbet dont P. Perrin a rédigé un essai.
Une lucidité qui ne laisse pas place au doute quant à notre misérable condition quand enfin « A la lisière de la paix » titre de la dernière partie, « l’éternité, le feu, les vers ? Rien n’importe à la dépouille, pas même la mémoire. »
« En s’élançant parfois dans l’infini, le poème ébranle des cavernes. Il propose une chambre de résonance ; l’écho ronge. De même que l’enfant pense avant de pouvoir s’exprimer, la poésie précède la pensée. Devenu adulte, le poète consigne une part de l’homme que la société fait mine d’ignorer ou bien s’emploie à bâillonner. »
Pierre PERRIN, Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022, 170p., 23 euros. Couverture de Sophie Brassard.
Pierre Perrin est un écrivain et critique littéraire français, né en 1950.
1985 : Manque à vivre, éd. Possibles
1996 : La Vie crépusculaire, ( prix Roger-Kowalski, 1996), éd.Cheyne
1998 : Les caresses de l’absence chez Françoise Lefèvre, Éditions du Rocher (essai sur l’écrivain Françoise Lefèvre)
2001 : Une mère : le Cri retenu, éd. Cherche Midi
2019 : Le modèle oublié, éd. Robert Laffont
Il dirige également la très belle revue Possible
fort intéressant , merci
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Chère Marie-Josée, merci pour tes deux articles, ta lecture du Soleil des autres, nourrie, bien charpentée, bravo, et celle de mon anthologie, Des jours de pleine terre, 110 poèmes, 170 pages, un peu plus laconique. La poésie reste difficile à évaluer, parmi une production pléthorique et un goût qui s’étiole. Mais tu dis juste et je te remercie encore.
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Marie-Josée, je ne peux vous dire pourquoi, mais vous me faites penser à Giono.
Il me faut vous découvrir davantage.
Quant à la poésie de Pierre que j’ai eu la chance de boire à pleine goulee d’air frais, elle m’a mis en garde de bien choisir les mots à placer sur la page.a
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Merci beaucoup Émile pour vos mots et votre passage ici. Je ne sais pourquoi vous évoquez Giono mais je suis flattée de cette comparaison et Jean Giono a sa maison à 200 mètres de chez moi. Auriez-vous senti l’air vif des Alpes ? 🙂 J’emprunte sa promenade quotidiennement comme il le faisait. Mais dire que je marche dans ses pas, je n’ose y penser.
En tout cas, tout comme Pierre, je suis exigeante et têtue, mon écriture est souvent âpre. Mes sujets souvent sombres.
Merci encore à vous, à Pierre et à l’amitié facebookienne 🙂
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La famille Eymard est du Dauphiné.
Je suis fier d’avoir pour arrière-arrière grand-oncle Saint Pierre Julien Eymard cvde La Mure
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