Voilà comme j’étais – Autobiographie posthume de Sade
Marie-Paule Farina
Editions des Instants, 2022
« Ce qu’on me fait n’a jamais été fait à personne. Ma vie a été vendue par ceux qui m’étaient les plus proches »
Alice écrivait par dessus l’épaule du Roi…
Si l’exergue en tête du dernier ouvrage de Marie-Paule Farina fait référence à Lewis Caroll c’est pour avertir sans aucun doute comme elle le rappelle également en toute fin d’ouvrage que ce n’est pas « Alice qui tient seulement le crayon du Roi pour écrire à sa place mais bien le Roi qui tient souvent le crayon d’Alice et lui souffle son texte, presque tout son texte, Alice se contentant de le mettre en scène ».
Titré Voilà comme j’étais, cette Autobiographie posthume de Sade respecte donc tous les codes du genre, journal, notes, réflexions intérieures, retours sur sa vie d’un homme vieillissant et même, une mise en scène théâtralisée de cette vie. Injustement emprisonné toute son existence, soumis à la vindicte d’une belle-mère bigote et d’une société hypocrite, l’ensemble de cette autobiographie que l’on pourrait croire avoir vraiment été écrite par le divin Marquis porte l’humour dont Sade se revendiquait avec force. Est partout présent tout autant un vif désir de réhabilitation bien méritée.
En spécialiste passionnée, l’essayiste Marie-Paule Farina nous a habitués à la fréquentation d’une oeuvre dont l’étude l’a rendue si proche de l’homme que sa voix se fond dans celle de son auteur fétiche et que le lecteur en perd souvent la notion du temps. « Sade se peint rarement de profil, j’ai donc essayé moi-même de le peindre de face en ayant constamment en tête la phrase de Vauvenargues : « À quoi bon rendre malheureux ceux qu’on ne peut rendre bons ».
Nous lisons donc cette Autobiographie posthume comme on lirait les Mémoires ou les Confessions d’un Sade consentant et heureux de se voir soutenu, le terme de Confessions renvoyant à Rousseau tant aimé du Marquis et, premier instigateur d’un genre où la justification est l’enjeu premier. Rousseau dont Sade s’était vu refuser en prison la lecture de ses Confessions alors qu’on laissait passer Lucrèce et les dialogues de Voltaire, nous rappelait MP Farina dans un précédent ouvrage. « Partez de là, messieurs, et ayez le bon sens de comprendre, en m’envoyant le livre que je vous demande, que Rousseau peut-être un auteur dangereux pour de lourds bigots de votre espèce, et qu’il devient un excellent livre pour moi. » (cité dans Sade et ses femmes, MP Farina, Ed François Bourin, 2016)
Dans Sade et ses femmes, l’essayiste s’était plu à nous décrire un homme qui avait été un enfant charmant, adorable et adoré, entouré de femmes. Comment aurait-il pu ne pas en être à son tour charmé, n’ayant eu de cesse d’être choyé, entouré, caressé, il n’a eu de reste que de solliciter toute sa vie, la présence par le rire et la gaieté, la tendresse et l’attention de ses chères amies et maîtresses en particulier Milli Rousset, mais aussi sa femme -même si elle fut aussi malheureusement, à la fois sa meilleure amie et la fille de sa tortionnaire. « Sans elle, je n’aurais pas survécu à Vincennes et à la Bastille, mais sans elle et sa famille je n’y serais jamais entré. »
C’est que Sade aurait eu toutes les raisons de les écrire ces Mémoires. Il fallait donc bien lui rendre hommage en écrivant à la place de l’homme qui a passé sa vie en prison et, avec force sources à l’appui, comme le précise l’auteure, rappeler qu’il ne s’agit pas d’une autobiographie travestie ou fictive. Prisons différentes suivant les époques et les événements qui lui ont permis d’écrire toujours plus, même quand on lui enlevait ses manuscrits, allant jusqu’à réécrire avec rage, augmentant toujours les textes détruits. « Ils ont brûlé les sept premiers cahiers de l’histoire d’Adèle, je l’ai refaite en 72 cahiers. La censure a des alambics un peu trop grossiers pour purifier l’imagination de M.de Sade. » Plus on le censurait, plus le prolifique écrivain n’en finissait de remplir des cahiers, doublant à chaque fois le volume de ses textes : « Mon texte ne cesse de bourgeonner, les feuilles lui poussent plus vertes après chaque taille et je suis heureux aujourd’hui qu’ils m’aient donné cette occasion d’y rajouter quelque horreur ».
Ah le provocateur ! Le doux enfant et le sale gosse que voilà ! Aujourd’hui, même si Sade demeure licencieux, on s’amuse de cette provocation quand on sait lire entre les lignes comme le fait pour nous Marie-Paule Farina, en philosophe et en vraie littéraire qu’elle est.
Libertin par amour de l’amour et des femmes mais libre dans sa tête sinon dans son corps, défenseur des libertés contre ceux qui se la réservent voulant en priver les autres, « L’habit de libertin dément avec toutes ses couleurs me convient d’ailleurs bien plus que celui de « malade de la police » ou de vieillard soignant ses hémorroïdes, ses vapeurs et ses insomnies ».
Alors qui donc s’est plaint de ses « exploits livresques » sinon une bigote de ses plus proches, sa belle-mère aux relations haut-placées, qui n’attendait pas grand chose pour le punir de son libertinage et de ses fréquentations jugées malsaines. Ce qui aurait pu rester de l’ordre de l’intime, au cœur du foyer se verra détourner par la belle-mère quand l’épouse elle-même s’en accommodait. La seule à ne pas vouloir comprendre que son gendre n’a fait toute sa vie que jouer la comédie comme il aimait tant à le dire « imitant les hommes de qualité inférieure » alors qu’il est interné pour fou. Prenant le contre-pied de ce rire et de ce besoin de comédie, MP Farina s’emploie à démarrer par un récit théâtralisé, théâtre qui fut si important pour Sade durant son internement.
Le défendre contre ceux qui en demandaient toujours plus (de détails croustillants) mais sur sa vie cette fois, voilà qui aurait sans aucun doute plu au Marquis. Et cette voix qu’on entend, c’est la voix de Sade « traduite » depuis ses manuscrits qu’il a laissés, ses Correspondances dont on a vu dans Sade et ses femmes combien elles étaient riches d’enseignements sur l’homme, sur ses qualités bien plus que les défauts qu’on lui imputaient. En se glissant dans la peau de l’homme, mis au ban de la société, jusqu’à l’internement psychiatrique, Marie-Paule Farina rend justice cette fois tout autant à l’homme qu’à l’écrivain comme dans ses précédents ouvrages. Car si on a bien compris la leçon, la littérature demeurant libre normalement de dénoncer, de rire de tout, bref, d’exprimer sous l’ironie et la facétie chère à Sade ce que ce monde possède de mauvais et de pervers, c’est là que ce texte atteint sa cible car l’intelligence de l’homme et celle de l’écrivain alors ne se séparent pas.
« Ce n’est point ma façon de penser qui est à l’origine de mes malheurs, c’est celle des autres ».
« Ma sensibilité a toujours été ce qu’il y avait de meilleur en moi, chacune de mes larmes aujourd’hui me surprend ».
Certes Sade ne fut pas un ange dans cette époque libertine. « J’aime mieux que tu me crois libertin que criminel, écrit-il à sa femme.
Son seul tort fut sans doute d’être trop intelligent en regard de ceux qui avaient le pouvoir de l’emprisonner. « Impérieux colère, emporté, extrême en tout et d’un dérèglement d’imagination sur les mœurs qui n’a jamais eu son pareil, voilà quels étaient mes vices et ils n’ont pas changé ; mais j’avais vertus, qu’en reste-t-il ? »
Trop intelligent et trop naïf ou enclin à dire sa vérité, celle qui trop souvent dérange l’espèce humaine, dans ce qu’elle a de plus vil. On l’a enfermé pour « outrages aux bonnes moeurs et perversité» sur ses seuls écrits où se mêlent luxure et débridements sexuels alors que se perpétuent la perversité des puissants, les manigances des politiques et de ceux censés représenter l’ordre et la morale, se comportant de bien plus sale façon que tout ce que Sade décrit.
« C’est à mon esprit non à mon corps qu’on attaquait ».
Le but de ces écrits rappelle Marie-Paule Farina, comme le lui souffle Sade, était de faire rire, « Pas un de mes romans obscènes, de mes livres de Bastille, n’a servi de simple secours à une existence étroite et triste… ils sont tous le produit d’un trop plein de joie, de gaieté, que j’étais allé puiser dans mes souvenirs et dans le bas comique bu avec le provençal des paysans de Mazan, de la Coste et de Saumane. », de porter aux plus extrêmes du grotesque et de l’obscénité ce que ce monde porte d’obscène et de grotesque, dans une époque qui verra naître la Révolution, cette même Révolution qu’il analysera comme bien plus obscène encore, ne servant à rien d’autres qu’à des effusions de sang. « L’odeur de la Révolution est insoutenable et nous a tous transformés en buveurs de sang et en égoutiers de la jeune République. L’odeur du papier et de l’encre a pour moi, heureusement, couvert toutes les autres. »
Donc la Révolution est passée, le XIXe siècle est enclenché et Sade toujours emprisonné à soixante-dix ans attend toujours d’être libéré. On est au début d’un siècle et à la fin du siècle philosophique. « La révolution est glacée. Les bigots pullulent et c’est au bon vieux christianisme que l’on trouve du génie… », référence à Chateaubriand que Sade détestait. Ne lui reste toujours et encore que le travail entêté dont « se dégage un opium qui étourdit l’âme »… meilleur remède contre la rêverie malsaine et la souffrance. Comment un tel homme a-t-il pu survivre dans ces années d’enfermement et de privations de liberté en tout genre ? Seuls les mots, les images, les métaphores, les personnages l’ont protégé de la réalité, dit en substance Sade par la voix de Marie-Paule Farina. Mais il doit encore se cacher d’écrire car on le soupçonne de ne savoir écrire de la « bonne » et « noble » littérature.
« L’ère de la liberté, l’ère de l’égalité, l’ère des Français, à quand l’ère de la bonté, l’ère de la clémence ? Les droits de l’homme n’ont rendu personne plus humain. Cette humanité qui reconnaît tous les droits sauf celui de l’existence ne vaut rien. »
En conclusion de son ouvrage, Marie-Paule Farina rappelle ses références, Ionesco, Obaldia, et rapproche Sade de Flaubert pour qui l’ascèse fut tout à la fois difficile et salutaire, celui-ci ayant « lutter pied à pied pour ne pas sombrer dans la folie et le désespoir en utilisant comme seules armes la lecture et l’écriture. »
Elle rappelle également combien la lecture et l’étude de chaque texte de Sade ont profondément modifié son regard sur le monde et les êtres, « je m’étais suffisamment rapprochée de son âme pour qu’il me communique ce que je trouve d’admirable chez lui : son courage. »
Marie-Paule Farina vit à la Réunion où elle est professeur de philosophie. Elle a publié en 2012 un essai graphique chez Max Milo Comprendre Sade, et a participé au film de Marlies Demeulandre Sade, monstre des Lumières. LE RIRE DE SADE, dans la collection Ethiques de la création, aux Editions L’Harmattan, 2019 ; Flaubert, les luxures de plume, L’Harmattan/Institut Charles Cros, 168 p., 2020 ; Rousseau, un ours dans le salon des Lumières, L’Harmattan/Institut Charles Cros, 2021 ; Voilà comme j’étais. Autobiographie posthume de Sade, Éditions des instants, 2022
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