Ces mots sont ceux que j’ai écrits après ma lecture de Une mère, le cri retenu de Pierre Perrin :
C’est une mère, mais c’est toutes les mères qui sont ici convoquées, dans l’ignorance de la femme qu’elles sont souvent aux yeux de leurs enfants, de l’oubli de cette vie qu’elles arpentent elles aussi parfois pas toujours de manière heureuse.
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Qu’une mère ait été douce ou terrible, quand elle nous quitte (ou sur le point de nous quitter) , on voudrait avoir pu comprendre sa peine ; à rebours, être capable d’entendre ses chagrins qu’on n’avait pas imaginés.
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Nous sommes faits de ceux qui nous ont fait, et que ce soit la force ou le manque d’amour qui nous a accompagnés pour grandir, une seule évidence quand la vie s’efface, presque obsédante pour celui dont le langage est nécessité : vouloir redonner vie ; par les mots, tenter d’abolir l’espace, le temps, les notions mêmes de vie et de mort :
« Je voudrais te recréer plus lentement que tu ne m’as fait ».
Ces extraits de mon article sur le très beau livre de Pierre Perrin résument mon état émotionnel depuis des mois et plus encore depuis ces dernières semaines.
Depuis des mois, notre petite mère s’en va bout par bout… Parmi tant d’autres en cette période, et avec toutes nos précautions pour la préserver de dangers plus grands venus de l’extérieur. Mais l’époque est ce qu’elle est, impossible de ne pas tomber dans le politique quand le souci premier de nos sociétés est la rentabilité au mépris de la vie ( j’ai déjà beaucoup écrit sur le sujet) une époque faite de dérèglements, de manques : de temps, d’empathie, de sensibilité, une époque de surmenage, de dépassements : de soi, de ses rythmes, de ses possibilités, un monde qui se délite à force de vouloir réduire le temps des soins, des besoins, une fuite en avant, un monde qui rend fou et violent.
Je ne sais pas ce soir si la colère en moi domine les sentiments mêlés qui m’assaillent.
Avant hier, je n’ai pas supporté de la voir dans l’état où je l’ai trouvée en si peu de temps depuis ma dernière visite.
Pas eu la force d’y retourner le lendemain, la tristesse, le chagrin, la culpabilité, le doute ont repris le dessus… et avec, une inertie et une léthargie comme ce fut le cas déjà durant tout l’été.
Hier, j’ai passé plusieurs heures à lui lire des textes en italien, à la masser et à lui parler. Quand elle essayait de me répondre, ce qui sortait de ses lèvres était une sorte de bouillie informe. J’approchais alors mon oreille de sa bouche et elle m’embrassait, m’embrassait , m’embrassait sans fin et avec une force qu’on ne pouvait imaginer qu’il lui restat tant elle demeure inerte et quasi mutique. Et à chaque fois ainsi, à plusieurs reprises, nous échangions non des mots mais des baisers comme jamais je ne me souviens qu’elle m’en ait donnés.
Ce soir, l’accablement me gagne à nouveau. L’acceptation est la seule issue, la dernière. On ne remonte pas le cours d’un fleuve.
« Quel compteur mesurera jamais la distance qui nous sépare de notre secret ? »
« Si ce n’est pas un délire de poète, quiconque a aimé, outre qu’il aime encore – c’est un creux qui n’attend que le poids qu’on lui donne -, n’a nul besoin d’ouvrir la bouche ; il sait comme je sais que parfois le souffle monte au ciel et dure, sans doute moins, mais dure la lumière d’une étoile. »
Pierre Perrin, Une mère, le cri retenu ( extraits entre guillemets)


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