
Placé sous l’égide d’Hervé Le Corre qui l’a préfacé, ce recueil de 33 nouvelles de Yan Despoux inaugurant une nouvelle collection de textes courts chez Agullo Editions, se lit comme un roman dont chaque court récit serait un chapitre, à moins que chacune ne soit le début de trente-trois romans noirs en attente…
C’est un quotidien banal, celui d’un monde dont ne parle pas, bâti de forêts de pins et de lacs, d’Océan et de marécages, des vies communes, celles de ruraux dans le Médoc, celles d’êtres simples dans un milieu luxuriant à l’authenticité sauvage voire primitive, des êtres si soudés à leur terre qu’ils se fondent dans son mystère, sa noirceur comme sa beauté, des êtres revendiquant leur appartenance, leurs secrets, leurs manières et leurs habitudes, leurs tares et leurs atavisme, leurs surnoms même comme dans la nouvelle éponyme.
33 textes courts écrits dans un style maniant langage fleuri des dialogues et descriptions poétiques sobres.
Instantanés de vie donc, chacune de ces nouvelles interroge l’autre en soi, l’étrange dans l’étranger comme dans le plus proche de soi, son voisin, son parent, ami ou ennemi, réel ou caché, la solitude et la noirceur de l’être le plus ordinaire, touchant ainsi à l’universalité d’un microcosme archaïque. L’envers du décor : sous la beauté des paysages jamais exaltée mais révélée et le vernis des lieux, la noirceur de l’humain le plus servile, le plus crétin parfois. Et quand chacun y va de son exaltation à être plus ceci que cela, plutôt bordelais que charentais ou parisien, on se souvient que toutes nos régions ont ce même particularisme, que l’on soit des Landes ou du fin fond de l’Auvergne, de Paris ou d’ailleurs, la noirceur et la bêtise du monde, la nature la plus primitive de l’homme se révèle dans ses paroles ou ses actes les plus anodins. D’ailleurs même «le Parisien c’est une sorte de Bordelais. D’ailleurs parfois c’est même un Bordelais ». Et pour montrer qu’à l’esprit provincial avec ses coutumes et ses travers, le parisien n’a rien à envier au local, dans ses manières de vivre. Dans tous les cas, l’anecdote n’est jamais loin et porte à sourire.
« Si on supporte assez mal le Parisien et le Bordelais toute l’année, on tolère toutefois le Charentais de- en gros -janvier à novembre, c’est-à-dire pour faire court, l’époque où il reste chez lui. Il arrive bien sûr que le Charentais viennent chez nous durant cette période. Pour voir de la famille, par exemple. Mais c’est assez rare, et les rapports demeurent distants mais cordiaux. Dans une certaine mesure. En voiture, lorsqu’on est derrière un Charentais, on se contera de râler à propos de ces cons de Charentais qui savent pas conduire. Dans une discussion au bistrot, si un Charentais s’y arrête et engage la conversation (ils ne peuvent pas s’en empêcher), on lui demandera d’où il vient. Et quand il aura répondu, on lui dira que ça serait bien qu’il y retourne. »
S’installer dans une nouvelle région c’est toujours arriver en étranger par exemple, même si on y est né et qu’on en est reparti pour y revenir quelques années plus tard : « Il n’est pas d’ici. C’est un peu un Parisien – d’ailleurs on l’appelle parfois comme ça – ou un Bordelais. Mais en pire. C’est l’Ecolo. Il trouve que les gens du coin sont des débiles consanguins alcooliques qui aiment torturer les bêtes, mais il se considère comme quelqu’un du cru….[…] Après tout, il n’habite ici que depuis trente ans ».
Le chauvinisme paysan n’est même pas une question de culture : on ne remet pas en cause la gastronomie du coin mais on s’approprie la cueillette des cèpes ; les histoires de pêche, les parties de chasse fussent-elles communes, on critiquera ou épinglera un bordelais comme un toulousain pour des raisons obscures : « Toi, ta gueule. De toute façon, t’es bordelais. » L’homme de la terre, celui des bois, chaussé de bottes, arpentant les marécages, l’homme dans sa noirceur avec ses secrets les mieux gardés qu’a choisi de dépeindre l’auteur, en amateur du genre.
On est loin ici des vies minuscules de Pierre Michon prenant le parti de montrer le destin éprouvé de quelques ruraux anonymes du Limousin au siècle dernier. Mais on pense aux nouvelles réalistes de Maupassant et on se dit que rien ne change jamais vraiment dans le fond, quand on parle de l’âme humaine et de sa noirceur. Yan Lespoux est un amateur de roman noir et la tonalité est clairement donnée.
Alors la mort, le meurtre ne sont jamais loin. Et comme nous sommes dans la nouvelle, on peut dire que tous ces êtres originaux et aux réflexes primaires ont -pur hasard- des retours de karmas, plutôt immédiats. Il y a donc beaucoup de morts dans cet ensemble, l’obscurité, le néant habitant le monde quand celui-ci se révèle sous les passions les plus obscures. C’est une galerie de portraits majoritairement masculins avec leurs mésaventures : fumeurs de shit, chasseurs à l’instinct grégaire, cambrioleurs, propriétaire vengeur, adolescents concupiscents, amoureux jaloux ou,vieil homme si dépendant de sa femme qu’il préfère tuer le chien que d’accepter qu’elle le quitte « Putain, elle se cassera pas avec le chien » ; et la trivialité de leurs façons de parler quand il s’agit d’évoquer par exemple le « premier noyé » de la saison. « Le premier noyé de la saison, c’est un peu comme l’ouverture de la cabane à chichis, la première grosse pousse de cèpes ou la première gelée : ça rythme l’année. Et puis ça nous rappelle que nous, pendant ce temps-là, on est vivants »
Dans ces paysages des Landes, ce sont les éléments qui dominent. La terre avec sa végétation épaisse, ses marécages, ses dunes, sa forêt dense le plus souvent hostile, le caractère très terrien de ces êtres si fort attachés à leur sol qu’ils y meurent ou s’y laissent mourir : depuis la vieille n’appelant pas les secours plutôt que de partager son coin à cèpes jusqu’au « gros paysan médoquin qui cherchait sa sœur » en boite nuit avec son tracteur. L’eau avec les lacs, les étangs, l’océan qui gronde au loin. Le feu et l’air dans la passion et la haine qui animent les personnages, les coups de feu, la chasse à l’animal et la traque humaine.
L’humour n’étant pas en reste, on rit aussi dans ces nouvelles, même si c’est l’effet de chute qui appelle ce rire de manière surprenante après nous avoir tenus en haleine. Et en filigrane, l’enfance, les souvenirs de vacances et les amours d’été viennent illuminer en contrepoint les ciels vastes inquiétants et les endroits les plus obscurs de la mémoire. De toute évidence, Yan Lespoux est d’accord avec Laurent Tournebise qui écrit dans son essai Hervé Le Corre à l’encre noire : « La qualité du noir dépend de l’éclairage qu’on met à côté »
Yan Lespoux est né en 1977. Il a grandi dans le Médoc. Il enseigne l’occitan à l’université Paul
Valéry-Montpellier 3. Presqu’îles est son premier recueil de nouvelles. Il est entre autres connu pour son blog de critiques polar et autres, « Encore du Noir ». Il anime régulièrement les soirées « Machine à polar » à la librairie bordelaise La Machine à lire.
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