Collines

Pour cette acrylique et la suivante, je laisse Jaccottet parler des lieux de mon enfance…
« Je me souviens aussi de Saint-Blaise (un site grec au nord des Martigues) où, plus nettement encore qu’ailleurs, j’ai pris conscience de la façon dont de tels lieux me parlent.
… Il y avait eu tout d’abord, comme c’est souvent le cas dans le Midi, qu’en s’éloignant des Martigues, puis de la grande route d’Istres, on avait été transporté dans ces paysages intacts qui, en ayant l’air d’échapper au temps, vous donnent un sentiment de bonheur, et modifient plus ou moins perceptiblement votre état, en vous rendant plus perméable. Saint-Blaise est un plateau surélevé entre deux étangs marins.

Une fois remontés vers le sommet du plateau, le vent qui soufflait dans les pins nous sembla venir du bout du monde ; entre leurs troncs parut une combe avec des blés moissonnés et un champ de terre nue, couleur de terre. C’était tout cela qui m’avait saisi, tout cela ensemble, absurdement. Les choses, le monde. Le corps du monde.

« Sous ce vent doux, lointain, continu…
Je n’ai pas médité à Saint-Blaise sur le destin des empires, comme l’eût fait, encore Hypérion (le héros de Hölderlin, mais comme celui-ci ne l’a plus fait ensuite). J’ai accueilli à la fois tous ces signes, et c’est seulement si j’avais su les choisir et les ordonner qu’ils auraient pu parler aussi à d’autres, en étant lus par eux. »
« Si les fleurs n’étaient que belles… » in Paysages avec figures absentes, PH. Jaccottet, Poésie/Gallimard

 

j’en ai parlé ici :
«Le soleil n’était pas encore trop chaud quand nous montions aux collines. Ces jours-là, « il faisait pas beau ». On quittait l’horizon salé qui va jusqu’à la mer, on partait à l’opposé, on passait du bleu au vert peuplé d’ombres, les pins géants, les bosquets de thym et de romarin. « On va à Saint-Jean !» Quoi faire ? Elle criait. « Ça te regarde ? Tu criais à ton tour, et à moi doucement : « viens, prends ton chapeau, il va faire chaud. Et mets tes bottes ! Il a plu un peu ce matin, ça va être mouillé là-bas, y aura plein d’escargots. » On partait, tout excités à l’idée de ramener à ma mère des escargots baveux qu’elle aura soin ensuite de faire dégorger avec dégoût et agacement. « Rentrez pas avec les pieds pleins de « bioue », hein !». « Allez, laisse-la dire, ta mère, va. On va voir ce qu’on trouve, y aura peut-être de petites asperges, tu l’aimes l’omelette aux asperges sauvages, toi ? Si on lui ramène du fenouil, elle sera contente, elle te fera des pâtes avec les anchois que j’ai rapportés hier ! » Dès qu’on quittait la ville, qu’on prenait les routes des garrigues garnies de pins de chaque côté, jusqu’aux domaines sauvages des collines, tu ne parlais plus. On n’entendait que les oiseaux qui tournoyaient, viraient là-haut dans le ciel. Ils emprisonnaient l’espace, le striant de leurs coups d’ailes, leur danse créant ce filet invisible avec lequel ils nous auraient bien attrapés. Le flot de lumière qui les traversait les rendait opaques. Quand le ciel était couvert, les nuages les absorbaient, ils disparaissaient et réapparaissaient, mais quand c’était le bleu qui mangeait le ciel, leurs cris étaient plus clairs, on sentait l’air gonflé de leur souffle. Parfois, on partait un peu plus loin « tu lui dis pas à ta mère, où on va… on va passer le bac, un jour toi aussi, tu le passeras le Bac mais ça sera pas le même !» et tu rigolais. On traversait des paysages vastes, sansouires monotones, inondés en hiver, déserts l’été, traversés par le mistral, remplis de moustiques qui nous ramenaient vers la mer, la dune, les marais salants sauvages de la plage Napoléon. « On a été loin aujourd’hui papa », « faut pas le dire à ta mère, hé, « pourquoi » elle va me crier ».
extrait de Un destin de pierre

Acrylique 30×40

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