Mon corps est une île (récit) extrait 1

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Acrylique 30×40

 

21-Sources

L’eau de tes rêves a dissous la pierre du silence, l’eau de tes larmes en a érodé tous les secrets. Toute source d’eau te met au diapason de toi-même. Fait vibrer ton âme, chaque fois que tu es à son contact. Qu’elle coule d’une rivière fraîche et tonique, au pied d’une montagne, qu’elle reflue sur le sable chaud, elle diffuse un vertige, un rêve, des fulgurances que tes sens en éveil captent et recueillent, ces fulgurances se déversent en ondulations mystérieuses, secrètes comme des ondes électriques chargées d’harmonie et de beauté, d’une volupté infinie.
C’est fluide et nébuleux, d’une blancheur de ouate, tu en ressors étourdie.
Dessiner, peindre ces métamorphoses, fixer des variations gazeuses, rendre un ciel plus vaporeux, plus liquide, esquisser une mer plus éprouvée, plus tourmentée, poser un arbre dans la kyrielle des jours, emplir d’une énergie triomphante et stable cette force naissante, vibrionnante. Ce sont expériences qui élargissent ta conscience, captent ta joie, augmentent le mystère qui t’appelle.
Ecrire a ce même pouvoir dès lors que tu saisis le sillon à creuser juste avant le flamboiement ; dans l’humble traversée des silences, dans l’ivresse des profondeurs océaniques, tu accueilles l’instant insaisissable…
La mer est ton héritage séculaire, elle te contient et t’enveloppe. Tu es elle. Elle est toi. Tu dis : Mon corps est une île. Tu es ce bout de caillou qui accepte toutes ses caresses comme toutes ses gifles. Tu te déplaces en son sein. L’élément est sauvage, sans tendresse mais délicieusement voluptueux, tu cherches ton équilibre à son contact. Dans sa solitude, tu retrouves ta complétude. Sa mythologie est la carte de tes émotions, contenues, contrôlées. Sa violence t’est familière, tu ne la crains pas, tu pourrais t’y noyer. L’homme de la mer ne prend pas la mer, il se laisse prendre, en esthète, il est homme averti et prudent. Toi, tu la provoques, la harangues, la défies. Tu respires ses embruns, t’en emplis les poumons à les faire claquer, tu écoutes le ressac et le vrombissement des flots, les grincements des brisants, les reflux des galets qui claquent et s’entrechoquent. Tu es chacun de ses dispersements.
Nager et écrire, même ressource, même consentement à te diluer, t’effacer, te dissoudre ; l’eau est ce lieu où tu te révèles, ce lieu que tu as cherché toute ta vie.
Il te faut de l’espace pour t’épanouir, ton corps n’existe que dans cette unicité que tu formes au milieu de l’immensité fluide et impalpable. Comme l’arbre qui se découpe dans la lumière, comme la flamme de l’allumette qui se consume au milieu de la nuit, comme ce détail au bas d’un tableau de maître, un pied, un petit chien, les œufs cassés de Greuze (renvoyant à la virginité perdue), ou fragile, vulnérable voire inutile, une larme, la perle à l’oreille de la jeune fille, clin d’oeil surprenant parfois, désir profond de l’artiste. A la recherche d’un rythme oublié, différent de celui qu’on t’a toujours imposé, un rythme secret qu’une solitude impérieuse comme l’est celle de l’artiste, ou du mystique, pour descendre dans les méandres de l’être.

24-Sensualité

Minuit, midi. Toute heure cherche ta tendresse et tes bras qui enserrent ce dehors de toi qui t’appelle comme un défi. A conquérir le miel, l’eau, le sel, la saveur d’un été, l’humide d’une bouche, la liqueur d’une langue dans chaque repli de ton corps. Tu as cette gourmandise du vent, des parfums, de la douceur des mots, de ces grammaires nouvelles, la lettre des saisons, les pluies d’été et les automnes rougeoyants. Tu guettes une goutte de rosée, une larme de sève au détour d’un chemin pour en nourrir ton cœur ravaudé de tendresse.
Dévorer l’autre, cet inconnu de douceur et d’amour que tu attends dans tes rêves de festin trivial débordant la sensualité de ton corps qui se découvre, pénétrant le temple de ta gourmandise. Et, au plus près de ton intuition dans le tremblement des paupières, des doigts, de la peau, porcelaine blanche offerte à des convives silencieux, tremblante de désir, d’allégresse et de jouissance intérieure, tu acceptes cette ultime soumission, ce plaisir infini que tu as étouffé en naissant. Tu aspires à naître à cet art de soliste virtuose, la vie.
Le désir te maintient dans ce ravissement, cette sortie en dehors de toi, dans cette extase, littéralement (du grec, ekstasis : ravissement), dans cette part d’aube que tu cherches à rejoindre en cette vie. Dans ce déplacement, ton corps retient la caresse d’un baiser, au creux d’une altérité qui te fait vibrer d’un appétit sans cesse renouvelé, d’une ivresse qui irradie chacun de tes gestes, saisit ton corps, le foudroie, en efface toute empreinte de fatigue, et le porte jusqu’aux plus hautes rives dans un jaillissement harmonieux, une jouissance aux parfum enivrants.
Le désir, clé de voûte de ce qui fait exister et nous relie aux autres tient ensemble dans l’élan l’un et l’autre, toi et le monde. Manière de dire que ton corps existe encore quelque part dans le regard de celui qui ne s’en croit pas l’unique détenteur (à une lettre près, tu as failli écrire « inique »). De la volonté de te réduire au non-désir, ta génitrice t’a au moins appris à conserver précieuse et secrète cette liberté que tu chérissais.
Ta gourmandise passe par tes sens endormis, dans tes rêves de pulpes odorantes, fleurs, fruits, végétaux que tu écrases dans tes paumes, ou sous la plante de tes pieds, dans l’herbe humide et touffue des prairies ; t’enivrant de parfums, feuilles de géranium, de menthe et de basilic que tu froisses dans tes doigts tendres mêlés au ventre goulu des tomates acidulées et gorgées de soleil, et ce citron, acide et tonique ! que tu dévores à même la peau.
Tu aimes la densité laiteuse et vaporeuse des mousses, des montées en neige, et tout ce qui est volatile, farines de toutes sortes et les plus improbables, lupins, millet, tef, châtaigne, à la texture fine et délicate, épaisse et dense, mais aussi tout ce qui est moelleux, suave, chocolat noir et cacao de toutes origines, thé de Chine ou Anglais, des Indes, l’odeur du café et tout ce qui croque et craque jusqu’à la croûte dentelée des pains traditionnels à la mie alvéolée, odorante, élastique ou ceux plus traditionnels dans certaines régions méditerranéennes, carta musica 1 (« panu carasau »).
De cette gourmandise qui s’appelle vie te vient des envies de douceurs sucrées ; elles te prennent dans le désert de ta faim, tenaillant ton ventre, le dévorant. Au creux de ton enfance, les traditions culinaires se mêlaient de simplicité et de rudesse, d’habitudes et d’identités éparses, les saveurs méridionales à la croisée de tant de parfums se donnaient des airs de conquête inassouvie. Dans l’agrégat des saveurs et des senteurs multiples fortifiées aux rites ancestraux, tes mets préférés et ritualisés étaient le creuset d’une mémoire indéfectible que tu te refusais parfois, pour mieux la retenir.
Ce désir sensuel qui t’obsède, en quoi est-il si différent de ton appel à vivre ?

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