Autour de la parité hommes/femmes
I-Genre et représentations
Le 8 mars est la Journée internationale des Droits des Femmes, et le mois de mars tout entier est souvent l’occasion de multiplier les manifestations un peu partout dans le monde.
La question de la parité, de l’égalité hommes/femmes était le thème de cette journée du 13 mars 2018 organisée par l’Espace Familles du Centre social Lucia Tichadou à Port-de-Bouc en concertation avec Jean-Luc Albert de la Médiathèque Boris Vian ; 6e journée de l’année pour ce réseau d’échanges qui réunit habituellement des parents désireux de dialogues sur des problèmes de société.
La question orientée dès le départ sur l’égalité hommes/femmes dans le travail ne pouvait se départir d’une réflexion autour de la résistance des femmes tout au long de leur vie, face à la domination masculine toujours vivace dans nos sociétés et au sort qui leur est le plus souvent réservé toutes classes confondues. Si le mouvement #Me too initié à la suite du scandale Weinstein a permis une libération mondiale de la parole des femmes sur les réseaux sociaux, force est de constater que les choses évoluent encore lentement sur tous les fronts des droits et de la reconnaissance des femmes.
Dans le cadre du travail, les inégalités sont encore trop importantes, tant en termes d’égalité des salaires que de considération et de respect.
Il a surtout été question lors de ce débat de deux heures, de la reconnaissance au travail élargi à la société. Chacun s’accorde sur l’idée que chaque fois qu’une loi est décrétée, « on a l’impression qu’on en parle beaucoup mais que peu de choses sont faites », et il est bon de rappeler que depuis 45 ans en effet, entre la première loi, dite loi Roudy du 13 juillet 1983 qui établit l’égalité professionnelle hommes/femmes et celle de 2014 visant à combattre les inégalités entre hommes et femmes dans les sphères privée, professionnelle et publique, pas moins d’une dizaine de lois ont visé à sanctionner les entreprises qui ne s’y plieraient pas et elles sont pourtant restées sans effet. Cette dernière dit pourtant tout simplement que dans toute entreprise de plus 50 salariés, l’entrepreneur doit établir un diagnostic des différences de salaire et mettre en œuvre un plan d’action pour y remédier. Trop peu d’entreprises ont été sanctionnées et en effet « rien ne bouge ». Rappelons qu’en moyenne, les femmes sont payées 15 à 20% moins que les hommes, l’écart pouvant atteindre 26% chez les cadres, la différence tenant sans doute au fait qu’un individu payé au SMIC est indifféremment homme ou femme.
Un nouvelle loi visant à établir une égalité salariale entre les hommes et les femmes devrait paraître et certaines parmi les participantes s’interrogent sur la prise d’effet de cette nouvelle loi : « va-t-elle être rétroactive ? », « va-t-elle s’appliquer pour les anciennes employées de l’entreprise ou seulement pour les nouvelles embauchées ? « , « ne va-t-on pas opposer que cela sera trop coûteux pour l’entreprise ? »
La question qui demeure depuis toujours est de savoir pourquoi les femmes ont toujours accepté cet état de fait ? « On a trouvé ça normal et malgré les nombreuses questions, il y a eu peu de réaction », dit une participante.
La problème de la parité effraie depuis des siècles et la question primordiale demeure : comment ébranler une structure de domination ? Cette question sur l’égalité hommes/femmes interroge toujours certains sur la difficulté des travaux dits « masculins ». « Salissants ou très durs » dit ce monsieur qui intervient à son tour. Une jeune fille lui répond : « Mais si elle accepte de le faire c’est qu’elle s’en sent capable ? Pourquoi pas ? Peu importe qu’elle soit frêle ou non. » Une autre rappelle qu’aujourd’hui « plus aucun métier n’est interdit aux femmes, même celui de sous-marinier » mais « c’est tout récent ». Une jeune fille raconte les bonheurs de son amie « soudeur » (y aura-t-il un jour un féminin ? Soudeuse?) et comment elle est très bien insérée dans le milieu ouvrier, « parce qu’elle a de la personnalité ». « Si tu te laisses pas faire », « si tu as de l’autorité », « si tu t’imposes ».
« Tout s’obtient par la lutte, on a du retard à tous les niveaux, professionnels, vie privée, et de plus en plus de mal pour rattraper ce retard. » « Les lois peuvent bien être votées s’il n’y a pas de volonté… »
La représentante de Vie au féminin rappelle les droits des femmes, droit de vote, égalité réglant les violences faites aux femmes, l’indépendance des femmes gagnant du terrain, et souligne que « l’égalité dans tous les domaines aiderait à solutionner pas mal de problèmes ».
Très rapidement, le débat va rejoindre la question de la représentation que l’on a des femmes : « les femmes doivent rester à la maison », « la femme n’est pas capable de travailler » autant de clichés éculés qui sont encore dans certaines mentalités.
La question du genre et des représentations
Il y a une volonté de changement mais elle suppose de la part de la femme qu’elle choisisse sa posture. Certaines parlent de « lutte ». Et Claudette Blain, psychologue, rappelle qu’il vaut mieux travailler sur la non-violence « parler en termes de lutte, combat, violence est très négatif pour toutes les avancées ». « Il faut préférer les termes se positionner, s’affirmer » et non partir en guerre contre les hommes. Et insiste sur le fait que « La force intérieure, toutes les femmes l’ont et une femme n’est jamais « sans emploi » mais au contraire en a « 100 », jouant sur l’homonymie des termes et accentuant l’écart dans l’injustice. Si on convient que les femmes sont fortes en effet de leurs capacités à mener de front plusieurs tâches, il convient d’introduire dans leur positionnement une stratégie d’affirmation plutôt que celle de la victimisation et de la lutte permanente épuisante et vaine. Cette guerre-là a toujours fait peur aux hommes, il ne s’agit donc pas de se comporter comme des hommes, mais de regagner du terrain sur ces représentations et ces schémas de domination masculine.
Il y a une volonté de changement et les groupes de parole y aident grandement dans la prise de conscience. Cette journée en est la preuve.
Comment ébranler une structure de domination ?
Quelles sont les marges de manœuvre ? A-t-on de vraies réponses à ce démantèlement ? Que pouvons-nous inventer de nouveau ?
« Chacun peut chez soi, dans son foyer, faire bouger les choses. » « Les regroupements comme le nôtre aussi peut faire évoluer les mentalités ».
Une jeune femme évoque le film « La source des femmes » où les femmes décident de faire la grève de l’amour, qui n’est pas sans rappeler le Lysistrata d’Aristophane. Lusistrátê, du grec ancien Λυσιστράτη, littéralement « celle qui délie l’armée », (de λύω / lúô, « délier » et στρατός / stratos, « l’armée »), est le prénom d’une héroïne grecque de l’Antiquité. Dans cette pièce éponyme, Aristophane, comme souvent dans son théâtre, met en scène des femmes qui se révoltent contre la domination des hommes et prennent le pouvoir, inversant les rôles. Le mot de ralliement de Lysistrata étant : « Pour arrêter la guerre, refusez-vous à vos maris ».
Pareillement, dans « La Source des femmes », explique une participante au débat, dans un village d’Afrique du Nord, les femmes vont chercher l’eau à la source, en haut de la montagne, sous un soleil de plomb, et ce depuis la nuit des temps. Leila, jeune mariée, propose aux femmes de faire la grève de l’amour : plus de câlins, plus de sexe tant que les hommes n’apportent pas l’eau au village ».
Ne pas rester dans la plainte qui n’a jamais fait avancer donc et se demander au contraire « quel bénéfice on retire de la victimisation ».
Revenant sur les représentations dans les types de travaux effectués par les hommes, certaines s’accordent à dire que le changement ne passe pas toujours par les lois mais bien par une capacité à s’imposer, l’exemple donné étant celui des conductrices de camion ou de bus. « Il n’y a pas eu de lois pour cela ».
« On demande souvent à une femme de faire ses preuves », « même pour être secrétaire » et « ils [les patrons] en profitent pour nous sous-payer »
Un exemple est apporté avec la suppression des CHSCP (comité de vigilance sur le maladies liées au travail ), suppression qui montrerait une volonté de nier la présence des femmes dans l’entreprise ; « une femme a plus facilement un cancer du sein qu’un homme… » évidemment.
« Le salaire des femmes a longtemps été vu comme complémentaire à celui des hommes », ce qui minimise voire néantise leur présence.
Le débat avançant entre plainte, résignation, et révolte, le recentrage par l’une des intervenantes s’est fait à nouveau sur le choix du langage, sur la question du choix des mots et du positionnement de la femme face à ces problèmes de discrimination. « Il faut mettre des cadres avec fermeté, être bien avec soi pour pouvoir aller vers les autres. Ce qui se fait au sein de la famille se fera au sein de la société naturellement ». Le choix des mots induit celui des représentations genrées, « Tant qu’on dira hommes/femmes on ne s’en sortira pas ».
Cette remarque a amené à réfléchir sur la différence effective entre les hommes et les femmes. Il est évident pour tous que hommes et femmes ne sont ni physiquement ni biologiquement constitués pareillement, n’ont ni les mêmes organes génitaux, ni les mêmes hormones, ni les mêmes capacités biologiques (les femmes peuvent avoir des enfants, les hommes non). En raison de ces différences, il est banal de dire que les hommes ont une force physique supérieure. Mais le monde aujourd’hui démontre que l’individu le plus qualifié pour diriger n’a pas besoin de sa force physique, il a besoin d’être plus intelligent, et ce critère rend indifférenciables aujourd’hui les hommes et les femmes.
Une question d’éducation
Sans doute, il n’y a pas lieu de se positionner dans une guerre des sexes et engendrer une révolte issue d’une victimisation permanente mais ne doit-on pas réfléchir aussi sur ce qu’induit dans l’éducation que l’on donne à nos filles, le fait de ne pas laisser s’exprimer sa colère. N’est-ce pas à cause de ça que nos filles restent dociles ? Nous apprenons toujours à nos garçons à devenir « virils et forts » et à nos filles à être « douces et modérées dans leurs paroles ».
Peut-être conviendrait-il d’élever nos filles et nos garçons en suivant leur propre inclination. « Une fille peut aimer jouer aux petites voitures », « un garçon peut aimer jouer à la poupée. »
J’ai pris pour exemple la tradition en Albanie des vierges jurées. Dans cette société patriarcale par excellence où le père offre à son gendre le jour de son mariage, la cartouche qui servira à tuer sa propre fille si elle se comporte mal avec son mari, les filles en âge de se marier peuvent choisir d’échapper au mariage en jurant de rester vierges. Ce faisant, elles acceptent de renoncer entièrement à leur féminité et adoptent l’habit, le comportement, les droits et devoirs des hommes. En dépit du fait que c’est absolument mortifiant pour ces filles de devoir choisir entre deux solutions radicales et une totale soumission aux décisions patriarcales, on peut s’interroger. Si donc, ces filles sont capables de devenir des hommes c’est qu’elles sont capables comme les hommes, pourquoi alors cette domination transmise par les pères ?
A contrario, dans son texte « nous sommes tous des féministes », l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi, évoque comment à l’âge de 9 ans, elle a désiré devenir chef de classe, statut, là encore, dédié aux garçons uniquement et fondé sur la meilleure note. Elle s’est vue refuser cette fonction au motif qu’elle était une fille, elle qui se serait bien vue maniant le bâton pour discipliner la classe a pu constater que le garçon « doux et paisible », qui avait eu la meilleure note après elle, n’était absolument pas du tout d’accord pour rentrer dans ce rôle.
En conclusion
Ce débat de deux heures a ouvert beaucoup de réflexions sur la place des femmes au travail et leur reconnaissance.
L’émancipation des femmes évolue lentement. Le code civil napoléonien de 1804 où les femmes restaient mineures toute leur vie a dominé jusqu’en 1914. On a souvent dit que la guerre de 14/18 a conduit de nombreuses femmes à assumer la relève dans tous les travaux sans aucune reconnaissance puisqu’elles ont dû reprendre leur place dès le retour des hommes. Droit de vote (1945), ouverture de compte en banque (1965), légalisation de la contraception (1971), loi Veil sur l’avortement… L’émancipation progressive ira de pair avec l’augmentation de la place des femmes au travail mais pour autant en 2018, les inégalités perdurent, et ce, malgré le vote de la parité hommes/femmes en politique (2000) ou dans les conseils d’administrations des grandes entreprises (2008).
Les avancées se font aussi journellement dans les entreprises et évoluent au sein des syndicats qui devront prendre en compte de plus en plus la parole des femmes car une question demeure : faut-il séparer luttes des classes et lutte des sexes ?
Si l’émancipation est bien passée par la féminisation du travail, on attend encore la mise en œuvre de cette égalité par la loi.
Fin du débat du 13 mars.
Ma contribution hors débat lue après le compte-rendu :
II… Les femmes sont faites pour faire des enfants ?
Dans son essai intitulé Une chambre à soi, en 1929, Virginia Woolf s’interroge sur le silence qui entoure les femmes au cours de l’Histoire, et surtout sur la question de leur incapacité à trouver leur place. Elle pose la question de l’existence des femmes dans la vie intellectuelle et dans la société. Elle se demande pourquoi les femmes sont souvent plus pauvres que les hommes, pourquoi elles ne savent pas toujours prendre leur indépendance, et qu’est-ce qui fait qu’elles sont niées, ou pire qu’elles se nient parfois elle-mêmes.
A un siècle de distance, qu’est-ce qui a vraiment changé ? Sinon la contraception qui a permis aux femmes cette émancipation…?
Lorsque j’ai repris mes études de Lettres et alors que j’étais en formation de formateur en écriture, une de mes professeures m’avait presque agressée en me demandant pourquoi, alors que j’avais eu la chance de connaître la contraception, j’avais mis au monde cinq enfants ! J’avoue que la question m’avait presque fait tomber de ma chaise. C’était en 1998 !
Si donc, j’avais une vocation d’écrivain, j’aurais du renoncer à la maternité…
En 2001 je publiais mon premier livre.
La question s’est toutefois reposée presqu’en ces termes dix ans plus tard et alors que pour des raisons (justement familiales) je n’avais toujours pas avancé dans mon projet de publication sans que je ne cessai pourtant d’écrire. La recherche d’un éditeur demande aussi du temps et en effet, mes multiples obligations m’ont fait délaisser pour un temps ce projet-là.
En effet, en décembre 2008 (soit 7 ans après ma première publication), lors d’une conférence intitulée «E comme EcrivainE» organisée par le GRAIF, le conseil général PACA et la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, je me suis retrouvée, en tant qu’auteure d’un premier essai, propulsée à la tribune pour remplacer une écrivaine qui n’avait pu faire le déplacement.
La thématique avait été largement présentée et développée le matin par une doctorante Audrey Lasserre, laquelle avait exposé sa thèse qui portait sur l’effacement progressif des femmes dans l’Histoire littéraire et plus précisément dans les manuels d’Histoire Littéraire. Audrey nous avait fait part de ses recherches et concluait que l’effacement des femmes se faisait quasiment de manière systématique tous les 30 ans du seul fait que les manuels d’histoire littéraire étaient presque exclusivement jusqu’alors, rédigés par des hommes. Ce processus d’évitement se révélait lorsqu’on consultait les sommaires de ces ouvrages. Elle avait pris pour exemple le manuel d’Histoire littéraire (1992) rédigé par un de nos anciens ministres de l’Education Nationale, Xavier Darcos, dans lequel on pouvait en effet constater qu’on ne trouvait plus trace que de quelques trois lignes concernant Georges Sand ou Colette. Quant à Elsa Triolet, je crois qu’elle n’avait jamais existé.
Avant de me donner la parole donc, dans la deuxième partie de la journée, consacrée à la présentation des auteurs, la présidente voulut savoir si j’étais inscrite par ex, à la Société des Gens de Lettres. Je ne sus que répondre sinon que je ne m’étais jamais souciée (et c’était vrai, trop occupée par mon métier d’enseignante et ma fonction de mère de famille nombreuse) de vouloir appartenir à un quelconque cercle qui m’aurait permis de me sentir reconnue en tant qu’écrivain mais pire que tout, j’ai répondu dans ma grande naïveté que je croyais ce cercle réservé aux hommes et même aux vieux messieurs. Je trouvais ce terme de SGDL très pompeux et l’avais sans doute confondu avec celui de l’Académie des Lettres. Certains souriront de mon ingénuité mais il est vrai que tous ces cercles d’entre-soi m’agaçaient déjà beaucoup. Et de plus, de mon aveu aussi, je ne me sentais pas vraiment « écrivain » mais quand l’est-on vraiment ? Suffit-il de savoir écrire quelques vers, voire d’avoir écrit des milliers de pages comme c’était déjà le cas, pour son seul tiroir ? Est-on écrivain aujourd’hui dès qu’on a réussi à publier un livre (même à compte d’éditeur) alors que tant de personnes savent tenir un stylo ? Qui le décide vraiment sinon votre public…
III- La répétition engendre la norme.
Un jour, une amie me dit en confidence : « t’es-tu déjà demandée pourquoi, nous qui avons lu Beauvoir à l’adolescence, nous ne nous sommes jamais vraiment rebellées ? Pourquoi ne sommes-nous pas devenues féministes tout de suite, toi, par exemple, tu es rentrée dans le moule en te mariant très jeune et en dédiant ta vie à ta famille alors que tu voulais écrire. C’est qu’être féministe ne résout pas la question et parfois même l’aggrave.
La répétition engendre la norme. Si on vous répète durant toute votre enfance que vous êtes une fille et qu’une fille c’est fragile, vous finirez par le croire. Si on vous répète qu’une fille ça doit se soumettre, il est fort probable que vous aurez du mal à sortir de ce schéma répétitif avant longtemps, comme dans l’histoire racontée par Chimamanda Ngozi.
Vous êtes-vous demandé, pourquoi certaines ne se rebellent jamais et d’autres y pensent sans aller plus loin ? Ce que ça engendre comme conséquences de se rebeller ou pas… Certes, la faute à l’éducation est la réponse qui vient en premier, puis la religion, les traditions, les habitudes de vie, la peur du changement, etc. Quoi d’autre encore ?
Et oui c’est vrai que par exemple, être entendue après un viol ou un abus, rétablie dans son honneur, n’est pas encore une norme et que certains hommes continuent de se comporter comme des monstres dans de telles situations (y compris lors des dépôts de plainte en commissariat, ça s’est vu). Et oui beaucoup de femmes préfèrent se taire que de dénoncer leurs agresseurs à cause justement de la façon dont se déroulent les procès.
De fait, on m’a fait très justement remarquer au tout début du débat lors de notre première rencontre alors qu’ j’évoquai le mouvement ME Too, que ce mouvement était trop éloigné des revendications des femmes du peuple, que les actrices avaient beau jeu de vouloir dénoncer parce qu’elles, depuis leur place, seraient sûres d’être entendues. Comme pour toute révolution, il faut du temps pour que les choses changent. Et s’il apparaît que c’est souvent une minorité qui entraîne un mouvement, il est aussi plus facile que ce mouvement parte depuis ceux et celles qui disposent de la parole (intellectuelles, artistes). Le droit à l’avortement (appelé alors Manifeste des 343 salopes) a été aussi signé par des intellectuelles au départ et on a rapidement eu une loi en ce sens. Oser être libre impose un certain courage, celui d’accepter d’être à nouveau maltraitées, insultées et peut-être pire encore.
Et heureusement, régulièrement, des femmes oeuvrent de manière exemplaire pour qu’on en finisse. Elles restent vigilantes à toutes les manières dont les femmes sont victimes d’injustice, en font leur raison de vivre et passent le relais à de plus jeunes. La féministe Gloria Steinem a inspiré toute une génération de jeunes féministes comme Emma Watson, et sans la notoriété de celle-ci, le processus d’effacement serait enclenché, il faut bien saluer l’audace et le courage de ces femmes et il faut bien pour être connue et reconnue, avoir un chef de file.
Je voulais juste souligner le fait que nous ne pouvons pas continuer à nous comporter comme si nous n’étions pas entendues sous prétexte que nous ne faisons pas partie de la caste des célébrités ou des puissants parce que cela induit toujours une forme de résignation qui retarde le processus. L’inconscient collectif travaille à notre insu et nous devons l’alimenter de cet espoir de changement, en entendant toutes les souffrances, y compris celles de ces vedettes qui osent dénoncer, et croire que ces dénonciations serviront à toutes, en revendiquant chaque jour, dans l’éducation qu’on donne à nos filles mais aussi à nos garçons, le respect de chacun. Les grandes révolutions ont souvent été le fruit de revendications cumulées et naissent de l’inconscient collectif. Mouvement ouvrier, émancipation des femmes et de tous les opprimés ont les mêmes raisons d’espérer et de se mettre en mouvement. Cessons de penser que nous n’avons aucun pouvoir parce que nous sommes « invisibles ».
Enfin, il s’agit essentiellement de changer les mentalités et non les structures de la société. Le monde animal regorge d’espèces chez lesquelles les mâles sont dominés par les femelles. A l’origine, l’humanité était une gynocratie, les femelles faisaient loi en se servant des mâles pour protéger leurs petits et choisissaient les plus forts pour se reproduire. Puis la situation s’est inversée et on est parvenu au stade andocentrique, où le postulat de base était la supériorité de l’homme sur la femme. Très peu de gens l’ont mis en doute, à commencer par les femmes elles-mêmes. Ceux qui continuent de l’affirmer avec force n’ont sans doute jamais vu une ancienne paysanne dans les travaux des champs. Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’Origine de l’Inégalité rappelle que cette inégalité provient directement de la division du travail, l’homme s’étant réservé les tâches nobles qui lui permettaient d’être libre et de sauvegarder son autorité, la femme a été reléguée aux basses besognes. Toute l’éducation de nos garçons reposent sur cette inégalité sexuelle. On fait savoir aux garçons ce qu’on attend d’eux, c’est à dire : qu’ils se comportent différemment des filles, ne doivent pas pleurer comme elles, prennent leurs responsabilités et assurent dans la famille un rôle de protecteur.
A partir de cette prise de conscience et de ce débat réactivé autour du respect dû aux femmes, il ne s’agit pas de revenir à un système matriarcal ou de faire l’éloge des amazones mais d’instaurer à nouveau un nouvel ordre dans le rapport hommes/femmes. Après ces deux bascules, on peut espérer voir arriver un troisième âge qui apportera l’égalité des sexes.
Marie Josée Desvignes
20 mars 2018
Lecture du texte, faite lors de la rencontre du 12 juin 2018
Port-de-Bouc-mars 2018
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