Lisianthus, Sylvie Marot, Editions de la Crypte, 2015

 

Lisianthus - Sylvie Marot

 

Sous-titré « Fragments », Lisianthus, publié aux Editions de la Crypte est le premier recueil de Sylvie Marot. Un recueil en forme de fragments poétiques disposés sur la page en haut et en bas laissant place à un grand vide au milieu comme celui qui emplit le cœur de la narratrice et que raconte cette histoire de « désunion ».

Un vide que creuse l’absence avec son désir douloureux non de remplir le creux mais bien de s’y engloutir.

Ce qui frappe dès les premiers mots, et avec ce titre recherché, c’est la richesse de vocabulaire, la beauté de la langue, l’amour du mot juste et coloré. Comme dans l’écriture où l’élagage se fait par suppressions successives, de collages en juxtapositions, le corps épouse cette nécessité. « Il allait falloir effectivement amputer, couper, enlever, retrancher, sectionner, supprimer, trancher ».

Au fil des jours et des nuits, au milieu des mots et des maux, tenter de s’abstraire de cette souffrance que provoque toute rupture, par tous les moyens jusqu’à l’obsession.

« Elle veut colorier tout le vide quitte à dépasser les bords ».

Le style décalé émeut par la la sincérité du propos qui au début fait sourire : « Elle plonge la tête dans le tambour de la machine à laver. La ressort. Rien ».

Il y a une douceur dans l’évocation de tout ce silence qui se fait autour de la narratrice qui nous entraîne dans son observation du monde comme si elle même était hors de ce corps qui souffre.

« Dans le jardin un hérisson vagabonde. La lumière de la ville découpe ses doux piquants ». Le hérisson est métaphore de ce qui pique, gratte à l’intérieur du cœur. Tout pique, tout gratte, tout est froid et inconfortable. La présence de ce corps au milieu des autres est éclatée, c’est un éparpillement, une dispersion dans l’espace. Non, finalement, elle n’est pas en dehors de son corps, c’est son corps qui est éparpillé dans l’espace, se retrouve dans les piquants du hérisson, sur le rebord des rails, qu’elle imagine jonchés de débris si…

Les nuits sont les fantômes des jours. « Nocturne/adossée à un arbre/du lierre m’enserre/mon cœur se comprime/ma peau devient écorce//diurne/adossée à toi/ ton bras m’enserrait/le cœur argenté/ta main droite se posait sur mon épaule gauche. »

S’installer dans ce rêve de suicide, attendre et explorer chaque possible, sous les rails, ou par le poison, ou bien encore « attendre que quelqu’un veuille bien la suicider. Et que les tortures cessent. »

Le vocabulaire lié au corps se fond dans celui de la biologie végétale partout présente. Le lisianthus c’est « une fleur à couper de la famille des gentianacées », une description nous en est donnée sur le revers de la quatrième de couverture. « Son bouquet rappelle le souvenir ou la promesse d’un tendre baiser, il livre également un message de gratitude ».

La narratrice précise cet état de déhiscence qui la contient. En biologie végétale, nous explique-t-elle, c’est l’explosion ou la dissémination des graines. En biologie humaine, la médecine parle d’ouverture ou rupture anormale d’un muscle, d’une cicatrise en cours de cicatrisation. Quelle plus juste image que celle de la déhiscence pour dire l’impossible guérison du cœur.

« Oui il l’aimait. Mais il ne voyait plus en elle, le réceptacle de ses rêves ».

Dans le silence des déplacements, il y a toujours le corps des autres, compatissants parfois et, un temps ça apaise quand s’exprime cette gratitude de la compassion fraternelle. Mais la déliquescence de l’amour est celle des corps. On perd d’abord le corps de l’autre, puis on se perd en perdant l’amour et le corps ne sait plus se diriger. Le rouge est alors la couleur de cet incendie que l’amour a d’abord allumé, puis celui du corps supplicié. Toutes les nuances du rouge se créent alors dans l’énumération progressive et langagée, dans l’éclatement des veines, dans l’éparpillement des mots dans toute leur brutalité martiale.

Les errances se ternissent de rouge, « en touchant le vermillon on se salit de rouge », peut-être celui de la folie où conduit la passion. Ce n’est pas elle qui se tue de cet amour perdu, c’est lui qui « se tient là à chaque coin de rue pour cogner son âme. Il est là à chaque angle pour l’étrangler. »

Il y a dans ce récit-poème, toute une recherche dans l’évocation d’images. Ainsi par exemple, la géographie des lieux laisse une place majoritaire à la capitale. Elle traverse Paris au rythme de son cœur vagabond, vide, vidé qui se fatigue de tant de silence mais Paris traverse le récit plaquant comme un motif récurrent, le visage de l’amant.

Et par exemple, l’émotion du souvenir se lit dans l’image de la Tour Eiffel et du Sacré cœur qui « s’ombrent et s’embrasent… juste avant que tout s’embrase et sombre ».

L’animal comme la fleur ou l’arbre a sa place privilégiée dans le récit, la nature est partout présente au milieu des « belles choses » qu’il faut savoir trouver et regarder. Le corps épouserait volontiers une autre forme pour s’extraire de cet envahissement de la douleur. « Si elle était un animal, elle serai un okapi » ou encore « elle serait un zèbroïde. Un croisement entre un zèbre et une jument. Elle serait zhorse ».

Après le rouge, le noir, on passe ainsi de la colère à la dépression, du noir « pennage du corbeau, noir animal à « l’oxyde de fer, la suie ». L’énumération chromatique de la souffrance n’en finit pas de colorer ses jours et les pages.

Et puis le temps a passé, remontent alors les souvenirs, peut-être ceux de l’enfance, pêle-mêle. Elle fait le décompte de ce qu’elle aimait chez lui, « elle désirait qu’il l’épanouisse et imaginait son ventre arrondi ».

S’égrainent encore et encore les couleurs, le rouge, mais aussi le vert, le jaune, le bleu, le noir omniprésent dans les mots, mais finalement le blanc aussi, ce blanc solaire « celui de la neige, du coton, du lait, de sa peau », évidemment celui du silence.

« …son œil se fixe sur cette résistance lumineuse d’un objet amoureux qui n’existe plus ».

Dévisser. Se laisser glisser. Attendre « quelqu’un qui ne viendra pas », en s’abreuvant à la fraîcheur des fruits, note de couleur et de saveur qui envahit le texte par la grâce d’une sensualité omniprésente. Et dans le flux de la vie, se laisser emporter par la vitesse, le mouvement du train.

On est embarqué dans ce corps immobile qui respire, qui souffle, qui lâche prise par moment, s’oubliant dans la douleur mais qui s’absente surtout à lui-même et absorbe le monde autour.

Promettre l’oubli, promettre d’aller mieux, remonter encore dans les souvenirs de lui, ceux que la joie a inscrit en creux dans sa rétine, dans ce va et viens du bonheur et du malheur, de l’objet conquis puis perdu. Toujours et encore se prêter aux jolies choses, s’accrocher au réel.

« Elle rêve de ses baisers brasiers », elle n’est plus qu’un rêve, une ombre portée du désir. Sa fragilité se lit sur ses traits diaphanes, mais elle ne sait qu’une chose : « elle a perdu sa gourmandise ».

Pourtant, alors qu’elle perd son éclat, que son teint s’affadit, se déploie dans le poème la multitude kaléidoscopique des couleurs, celles que son regard capte, et qui illumine le texte, ce texte qui s’écrit quand le texte du corps s’éteint et se fond dans le silence. « Se taire. » Difficile.  « Comment imposer le silence à la douleur intérieure ? »

« Dans la chambre sourde, sa solitude se cogne mollement contre les mousses triangulaires ».

Le Japon est cet autre lieu du désir, contenu dans le déploiement métaphorique de la fleur, dans le kaléidoscope du malheur, dans cette fleur, le« lisianthus » nommée aussi « rose japonaise en mémoire du pays de ses premières hybridations ». Lisianthus, c’est donc bien cette fleur à la grâce intemporelle qui domine le récit. Alors que la douleur est omniprésente, la douceur de la pluie, la caresse du vent, les odeurs de cake aux épices ou les senteurs des jardins envahissent l’espace de ces fragments à la recherche de la joie. L’ombre s’allie à la lumière de la vie partout recommencée et bientôt le silence assourdissant du corps se métamorphosera. « Sans s’en rendre compte, l’amour se terrera comme une note sourde ».

Ce récit extrêmement dense d’une dissolution, d’une fracture du cœur, de l’âme et du corps que les mots recomposent dans un kaléidoscope de rouge, de noir et de blanc est une tentative de recréer de la vie, de rematérialiser l’espace de l’absence à l’autre qui demeurera toujours, en suspension, comme une blessure qui ne se referme pas.

Marie-Josée Desvignes

le 25/06/15

Sylvie Marot est née en 1976. Elle vit et travaille à Paris. Lisianthus est son premier recueil. Editions La Crypte

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