(publié en 2013 sur Autre monde, mon précédent blog)
J’ai découvert l’oeuvre d’Aimé Césaire, adolescente, et depuis elle ne m’a plus quittée. Poète majeur qui me bouleverse et dont je me sens proche par la sensibilité et le langage, c’est tout récemment que j ‘ai découvert l’écriture de Suzanne, son épouse, à laquelle il a rendu hommage de nombreuses fois dans ses poèmes.
Suzanne Césaire(1915-1966) fut responsable de la revue Tropiques entre 1941 et 1945, l’époque de la « dissidence » contre « l’occupation » pétainiste des Antilles.
Dans un recueil intitulé Le grand camouflage, Ecrits de dissidence (cf ci-dessus), on lira les sept articles majeurs témoignant du rôle qu’elle a tenu auprès des écrivains de sa génération, de son écriture et de sa pensée flamboyantes, et son implication dans la reconnaissance des identités caribéennes.
Elle est aussi l’initiatrice d’une longue lignée d’écriture féminine aux Antilles.
Je reproduis ici tout d’abord deux extraits de ses articles publiés dans Tropiques, puis quelques-uns des poèmes d’Aimé Césaire à Suzy.
J’aime, pour une fois, à imaginer que le grand homme s’efface devant cette magnifique femme qu’était Suzanne en vous la présentant en premier.
« Ici les poètes sentent chavirer leur tête, et humant les odeurs fraîches des ravins, ils s’emparent de la gerbe des iles, ils écoutent le bruit de l’eau autour d’elles, ils voient s’aviver les flammes tropicales non plus aux balisiers, aux gerberas, aux hibiscus, aux bougainvilliers, aux flamboyants, mais aux faims, aux peurs, aux haines, à la férocité qui brûlent dans les creux des mornes.
C’est ainsi que l’incendie de la Caraïbe souffle ses vapeurs silencieuses, aveuglantes pour les seuls yeux qui savent voir… »
Tropiques, Suzanne Césaire, 1945
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« …la poésie, elle élève l’homme au plus haut degré possible de contemplation et de majesté. Quel est le rôle de la poésie ? Comme la musique, elle nous aide à nous dépasser nous-mêmes, et elle va plus loin encore, elle nous introduit dans « un temps neuf » dans un monde nouveau. Le vrai poème, qui nous montre l’homme dans la terreur, dans le désespoir et même l’horreur, doit nous saisir hors de ces enfers et nous conduire aux mystérieuses plages de la consolation. La douleur, exprimée, est dominée. Les mots, assemblés suivant le rythme, ont vaincu le malheur. La poésie, plus encore que la musique et plus sereinement, est l’expression d’une sorte de bonheur, né d’un sentiment de délivrance. » Tropiques n°2, Suzanne Césaire, juillet 1941
Poèmes d’Aimé Césaire à son aimée :
« en ce temps-là, le temps était l’ombrelle d’une femme très belle
au corps de maïs aux cheveux de déluge
en ce temps-là la terre était insermentée
en ce temps-là le cœur du soleil n’explosait pas […]
en ce temps-là les rivières se parfumaient incandescentes
en ce temps-là l’amitié était un gage
pierre d’un soleil qu’on saisissait au bond
en ce temps-là la chimère n’était pas clandestine.
Aimé Césaire
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« Fenêtres du marécage fleurissez ah ! Fleurissez
Sur le col de la nuit pour Suzanne Césaire
de papillons sonores
Amie
Nous gonflerons nos voiles océanes,
Vers l’élan perdu des pampas et des pierres
Et nous chanterons aux basses eaux
inépuisablement la chanson de l’aurore. »
Aimé Césaire, « Histoire de vivre », récit, Tropiques, n°4, janvier 1942
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« A travers les jeux cicatriciels du ciel
Je la vois qui bat des paupières
Histoire de m’avertir qu’elle comprend mes signaux
qui sont d’ailleurs en détresse des chutes de soleil très ancien
Les siens je crois bien être le seul à les capter encore… » D.M.
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Chevelure
Dirait-on pas bombardé d’un sang de latérites
bel arbre nu
en déjà l’invincible départ vers on imagine un sabbat de splendeur
et de villes l’invincible et spacieux cri du coq
Innocente qui ondoies
tous les sucs qui montent dans la luxure de la terre-mère
tous les poisons que distillent les alambics nocturnes
dans l’involucre des malvacées
tous les tonnerres des saponaires
sont pareils à ces mots discordants écrits par l’incendie des bûchers
sur les oriflammes sublimes de ta révolte
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Chevelure
flammes ingénues qui lèchez un cœur insolite
la forêt se souviendra de l’eau et de l’aubier
comme moi je me souviens du museau attendri
des grands fleuves qui titubent comme des aveugles
la forêt se souvient que le dernier mot ne peut être
que le cri flambant de l’oiseau des ruines dans le bol de l’orage
Innocent qui vas là
oublie de te rappeler
que le baobab est notre arbre
qu’il mal agite des bras si nains
et toi
séjour de mon insolence de mes tombes de mes trombes
crinière paquet de lianes espoir fort des naufragés
dors doucement au tronc méticuleux de mon étreinte
ma femme
ma citadelle
A. Césaire, Cadastre
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Fils de la foudre
Et sans qu’elle ait daigné séduire les geôliers
à son corsage s’est délité un bouquet d’oiseaux-
mouches
à ses oreilles ont germé des bourgeons d’atolls
ell eme parle une langue si douce que tout
d’abord j en ecomprens pas mais à l alongue
je devine qu’elle m’affirme que le printemps est arrivé à contre-courant
que toute soif est étanchée que l’automne
nous est concilié que les étoiles dans la rue
ont fleuri en plein midi et très bas suspendent
leurs fruits
Aimé Césaire, Cadastre
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« voum rooh oh
pour que revienne le temps de promission et l’oiseau qui savait mon nom
et la femme qui avait mille noms
de la fontaine de soleil et de pleurs
et ses cheveux d’alevin
et ses pas mes climats
et ses yeux mes saisons
et les jours sans nuisance
et les nuits sans offense
et les étoiles de confidence
et le vent de connivence.
Aimé Césaire, Cahier d’un retour en pays natal, 1939
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