Nul chemin dans la peau que saignante étreinte – Jean d’Amérique – Prix de la vocation – Cheyne Editeur 2017

Jean d'Amérique

Nul chemin dans la peau que saignante étreinte

Jean d’Amérique

Prix de la vocation

Cheyne Editeur 2017

La poésie parfois s’écrit sur les ruines, celles d’un monde, celles d’une ville. Avec ce beau titre qui porte en creux la souffrance et la longue marche de l’être vers sa destinée, Jean d’Amérique écrit la douleur et la perte. Celle de tous ceux condamnés à trimer, celle de ceux soumis aux pires vicissitudes de la vie et peut-être celle survenue après le terrible séisme qui a défiguré la ville de Port-au-Prince. La beauté de son style, son écriture douce et silencieuse apporte des contours lumineux à ces abîmes.

« voie d’arcs-en-ciel

dans les eaux troubles de l’histoire

nous ne sommes pas semence de cauchemar

dans les pupilles de l’humanité. »

Le recueil est court mais d’une extrême intensité. Il dit la folie du monde, le cœur et l’âme du poète pris dans les tourments, confronté aux éclats de violence (guerres, catastrophes). Il en porte les stigmates de sang sur le visage et en contamine les passants, lui qui n’a que sa plume et la blessure intime de son être pour le guider et son encrier, une barque pour le conduire :  « je suis naufrage, battant ma chanson sans voile »,  « je suis semence d’orage… »

Il écrit et sa syntaxe s’entaille, sa grammaire est ensanglantée. « je marche/ dans mon calvaire d’errance/pour tresser des colliers de sang ». Il absorbe toute la souffrance du monde et ses ruines, convoque d’autres désastres, Alep et la guerre, pour « coudre les jours/à fil de sanglots », dire la traversée folle d’un monde à la dérive « qui s’écrit/en bouquet d’herbes folles/obscures saisons/saluant le déclin de nos rétines. » Il est tous les peuples du monde, tous les damnés de la terre : «  tous les pays blessés/ont une place sous ma peau ». Dans les failles du langage, il puise sa force et « vogue au fil des mondes/l’imaginaire prompt à l’embrasure des vents/d’ailleurs ». Il cherche la chaleur et les rêves de soleil qui lui font défaut, enfermé qu’il est dans son errance solitaire. Il aspire aux falaises comme « au langage des chemins de rage » :

« n’était-ce mon accointance aux falaises,

ma folie propre des pentes

et mon originale blessure pour les ratures

j’aurais le cœur criblé vif d’inertie »

Dehors, le fracas du monde, l’amoncellement des cadavres et lui, dedans, inscrit sa chair dans le feu des mots qui l’enserre.

«J’aimerais m’écouler par-delà mes flots érogènes, m’écartant de moi-même pour mieux gagner les caresses. Mais je ne suis bon qu’à frotter, je ne suis bon qu’à éroder mon château de chair. Je me brûle les mains, je me brûle les mains. » Quel chemin suivre ?

Celui de la poésie assurément et on lui fait confiance. « La poésie prend ma main pour me soigner ». Il a assurément déjà en lui tout ce que la poésie porte pour le guider et vivre debout comme dans ce long poème dédié « à [mon] soleil Jacques Stephen Alexis », poète et écrivain majeur, référence de courage et d’espoir. « tu t’es jeté au feu pour brandir la flamme commune ».

Ou cet autre dédié à « un être mêlé au mien » avec la crainte de le perdre, « si tu meurs un jour… ».

Et puis, dans la difficile évidence face à la destruction et au vide, l’errance et le désœuvrement, le dernier poème est dédié « à mes tantes qui passent leur vie à chercher du travail » avec ce très beau texte final :

« Ce qu’on regarde au fond de ce grand bâtiment aux dentelles barbelées, immense édifice de silence humain où sont attachés des vigiles serrés sur la gâchette, ce qu’on regarde se démêler dans la marche sauvage des machines, ces corps qui se confondent au mouvement invariable des pédales, ce n’est pas un clin d’oeil à la transe mais l’usine qui se régale. »

Jean d’Amérique a reçu pour cet ouvrage le Prix de la Vocation, remis par la fondation Marcel- Bleustein-Blanchet qui récompense chaque année un jeune poète de moins de 30 ans.

Né en 1994, il vit à Port-au-Prince. Ecrivain et slameur, auteur de Petite fleur du ghetto, recueil très remarqué avec la mention spéciale du Prix René Philoctète 2015 et une sélection au Prix Révélation de Poésie 2016 de la Société des Gens de Lettres.

 

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