…les femmes sont faites pour faire des enfants… ?

virginia woolf

 

Dans sa nouvelle «L’association », Virginia Woolf met en scène quelques jeunes filles qui discutent autour d’un thé sur les qualités des hommes. Parmi elles, une jeune fille -dont la narratrice nous dit qu’elles l’ont toujours trouvée bizarre, ne serait-ce que par le fait qu’elle s’est mis en tête de lire tous les livres de la bibliothèque de Londres, dernier vœu de son père dans son testament, constate avec effroi qu’elle doit y renoncer car dit-elle : «tous les livres sont presque horriblement mauvais». Ses camarades lui opposent des noms illustres : Shakespeare, Milton, Shelley !!! mais elle persiste et leur prouve en leur lisant différents passages pris au hasard dans la bibliothèque. Elles sont bien obligées d’en convenir, beaucoup de livres ne valent rien. Elles décrètent alors que « la vie [ne devrait]produire [que] de bonnes personnes et de bons livres ».

Elles vont décider de fonder une association qui aura pour vocation d’observer comment les hommes vivent et (puisqu’ils sont majoritaires à écrire et à être reconnus comme écrivains) comment ils s’y prennent pour obtenir leur réussite.

En effet, les femmes sont faites pour faire des enfants, n’est-ce pas, et les hommes pour développer leur intelligence (qu’elles ne leur dénient pas du tout, au contraire !). La dérision de l’auteure est ici assez subtile. Leur conclusion, outre l’humour dont ne se départit pas Virginia Woolf dans cette courte nouvelle, c’est que si les hommes parviennent à développer leur intelligence c’est grâce à leur mère et donc c’est la faute des femmes qui les encouragent en ce sens.

« Depuis cinq ans nous tâchons de savoir s’il y a une raison à ce que nous continuions la race humaine ».

«Les hommes nous méprisent  trop pour prendre au sérieux ce que nous disons» et «aucune femme n’a jamais été artiste» constatent-elles, pour la seule raison qu’en ne demeurant pas chastes elles prennent le risque de faire un voire plusieurs enfants (dix, vingt…)

Bien sûr, nous sommes en 1914.

La solution de l’une d’entre elles serait donc de «mettre au point une méthode pour que les hommes puissent avoir des enfants ! C’est notre seule chance ! »

L’humour de Virginia Woolf prête même à l’une d’elles, le projet scientifique ( un projet bien d’avant-garde!) d’ « un procédé permettant de conserver dans des tubes scellés les germes des futurs lords chanceliers ou « des poètes, des peintres et des musiciens » […] « à supposer bien sûr, que ces espèces ne soient pas éteintes, et que les femmes souhaitent encore avoir des enfants… « .

Cette nouvelle de Virginia Woolf fait partie d’un recueil publié chez Rivages sous le titre «Lettre à un jeune poète» et aux côtés d’autres textes (dont Lettre à un jeune poète) dont la réflexion porte sur ce souci qu’elle avait de la littérature et bien sûr de la poésie, en ce début de Xxe siècle qui voyait l’éclosion d’un monde moderne industriel dépourvu de grâce.

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Dans Une chambre à soi, en 1929, Virginia Woolf s’interroge sur le silence qui entoure les femmes au cours de l’Histoire, et surtout sur la question de leur incapacité à trouver leur place. Elle pose la question de l’existence des femmes dans la vie intellectuelle et dans la société, elle se demande pourquoi les femmes sont souvent plus pauvres que les hommes, pourquoi elles ne savent pas toujours prendre leur indépendance, et qu’est-ce qui fait qu’elles sont niées, ou pire qu’elles se nient parfois elle-mêmes.

A un siècle de distance, qu’est-ce qui a vraiment changé ? Sinon la contraception qui a permis aux femmes cette émancipation…?

Lorsque j’ai repris mes études de Lettres et alors que j’étais en formation de formateur en écriture, une de mes professeures m’avait presque agressée en me demandant pourquoi, alors que j’avais eu la chance de connaitre la contraception, j’avais mis au monde cinq enfants ! J’avoue que la question m’avait presque faite tomber de ma chaise. C’était en 1998 ! En 2001 je publiais mon premier livre.

Si donc, j’avais une vocation d’écrivain, j’aurais du renoncer à la maternité…

La question se reposa presqu’en ces termes dix ans plus tard et alors que pour des raisons (justement familiales) je n’avais toujours pas avancé dans mon projet de publication sans que je ne cessai pourtant d’écrire. Le temps me manquait pour ce projet-là.

En effet, en décembre 2008, lors d’une conférence intitulée «E comme EcrivainE» organisée par le GRAIF, le conseil général PACA et la Cité du Livre d’Aix-en-Provence, je me suis retrouvée, en tant qu’auteure d’un premier essai, propulsée à la tribune pour remplacer une écrivaine qui n’avait pu faire le déplacement.

La thématique avait été largement présentée et développée le matin par une doctorante Audrey Lasserre, laquelle avait exposé sa thèse qui portait sur l’effacement progressif des femmes dans l’Histoire littéraire et plus précisément dans les manuels d’Histoire Littéraire. Audrey nous avait fait part de ses recherches et concluait que l’effacement des femmes se faisait quasiment de manière systématique tous les 30 ans du seul fait que les manuels d’histoire littéraire étaient presque exclusivement jusqu’alors,  rédigés par des hommes. Ce processus d’évitement se révélait  lorsqu’on consultait les sommaires de ces ouvrages. Elle avait pris pour exemple le manuel d’Histoire littéraire (1992) rédigé par un de nos ministres de l’Education  Xavier Darcos dans lequel  on pouvait en effet constater qu’on ne trouvait plus trace que de quelques trois lignes concernant  Georges Sand ou Colette. Quant à Elsa Triolet, je crois qu’elle n’avait jamais existé.

Avant de me donner la parole donc, dans la deuxième partie de la journée, consacrée à la présentation des auteurs, la présidente voulut savoir si j’étais inscrite par ex, à la Société des Gens de Lettres. Je ne sus que répondre sinon que je ne m’étais jamais soucié (et c’était vrai, trop occupée par mon métier d’enseignante et ma fonction de mère de famille nombreuse) de vouloir appartenir à un quelconque cercle qui m’aurait permis de me sentir reconnue en tant qu’écrivain mais pire que tout, j’ai répondu dans ma grande naïveté que je croyais ce cercle réservé aux hommes et même aux vieux messieurs. Je trouvais ce terme de SGDL très pompeux et l’avais sans doute confondu avec celui de l’Académie des Lettres. Certains souriront de mon ingénuité mais il est vrai que tous ces cercles d’entre-soi m’agaçaient déjà beaucoup. Et de plus, de mon aveu aussi, je ne me sentais pas vraiment  « écrivain » mais quand l’est-on vraiment ?) Suffit-il de savoir écrire quelques vers, voire d’avoir écrit des milliers de pages comme c’était déjà le cas, pour son seul tiroir ? Est-on écrivain aujourd’hui parce qu’on a réussi à publier un livre (même à compte d’éditeur) alors que tant de personnes savent tenir un stylo ? Qui le décide vraiment sinon votre public…

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Virginia Woolf se voulait poète avant romancière, sa prose en témoigne.

A propos de Les Vagues, John Lehmann (cf Lettre à un jeune poète) lui écrira, le 16 septembre 1931 : « Il me semble qu’un livre de ce genre n’est séparé de la poésie que par une cloison des plus minces. Vous parvenez en quelque sorte à maintenir et la rapidité de la prose et l’intensité de la poésie. » (cité dans la préface de Michel Cusin, Les Vagues, Gallimard, 2012)

Le soleil sombrait. La dure pierre du jour était lézardée et la lumière coulait à flots à travers ses fragments. Rouge et or une volée de flèches fulgurantes transperçait les vagues, empennée de ténèbres. Erratiques des rayons de lumière s’allumaient et divaguaient, comme des signaux venus d’îles englouties, ou comme des fléchettes lancées à travers des buissons de laurier par des garçons effrontés et rieurs. Mais les vagues, à l’approche du rivage, étaient dépouillées de leur lumière, et tombaient en un seul long ébranlement, comme un mur qui tombe, un mur de pierre grise, que ne traverse pas la moindre fente de lumière.

Une brise se leva ; un frisson courut parmi les feuilles ; et ainsi remuées, elles perdirent leur densité brune et devinrent grises ou blanches à mesure que l’arbre déplaçait sa masse, vacillait et perdait son dôme uniforme. Le faucon posé sur la plus haute branche battit des paupières et s’élança et s’en alla planer très haut et très loin. Le pluvier sauvage criait, dans les marais, fuyant, tournoyant et s’en allant plus loin crier sa solitude. La fumée des trains et des cheminées s’étirait et se déchirait pour se fondre dans le baldaquin moutonnant qui était suspendu au-dessus de la mer et des champs.

A présent, les blés étaient coupés. A présent il ne restait qu’un chaume revêche de toutes leurs vagues et de leurs flots….(p 267)

… A présent le soleil avait sombré. Ciel et mer ne se distinguaient plus. Les vagues en se brisant déployaient leurs blancs éventails très loin sur le rivage, faisaient pénétrer des ombres blanches jusqu’au tréfonds des grottes sonores et puis refluaient en soupirant sur les galets.

L’arbre secoua ses branches et une averse de feuilles tomba sur le sol. Elles s’y posèrent avec un calme parfait à l’endroit précis où elles attendraient de se dissoudre. La poterie brisée qui tout à l’heure avait contenu une lumière rouge ne renvoyait plus dans le jardin que du noir et du gris… (p 299)

 Les vagues – Virginia Woolf

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