A l’ouest des ombres s’ouvre sur une réflexion, titrée « Invitation à sortir de l’abîme ». Le poète y évoque la question du pouvoir des hommes de ce monde et en regard, ce que peut la poésie ; à condition que le poète lui-même ne se croit pas investi d’une toute puissance, « le poète, l’artiste n’est pas là pour dire regardez-moi, admirez-moi, c’est moi le voleur de feu , il se confondrait alors avec les gourous de la pire espèce. » Il doit œuvrer à « ce que chacun puisse voler de son propre feu ».
Tous les poètes l’ont dit mais Seyhmus Dagtekin, poète kurde en redit l’urgence. Nous sommes tous possesseurs de ce pouvoir des mots. En ouvrant nos bouches et nos mains, nous pouvons ouvrir aussi nos yeux, et agir contre la fatalité d’un monde en déroute.
« Le feu a été volé et mis dans nos bouches
Pour que le mot comporte un peu de braise, un peu de lumière
Et qu’on puisse dire
le monde
qui se consume
sous nos yeux”
Laissez-vous embarquer par le flot bruissant du torrent de Seyhmus Dagtekin, son feu et son eau, la vivacité et l’énergie de sa poésie : « moi je suis corps je suis cohorte »…
« J’ai vu des étoiles au ciel et dans l’eau
J’ai vu des arbres à l’endroit et à l’envers
J’ai vu les lumières qui furent tes yeux
J’ai vu le chant des oiseaux, le bruissement des arbres qui furent autant de reflets enfouis dans tes yeux,
Et le grondement continu de la ville
En même temps champ et feu
Dont tu parsèmeras ton sommeil
Pour que nulle férocité ne souille ta nuit. »
La poésie comme résistance donc contre l’oppression, un doux rêve qu’on voudrait bien rendre réel et auquel le poète continue de croire même s’il en convient « nous sommes les enfants de Cain », et de fait, nous sommes le plus souvent les spectateurs immobiles face au malheur du monde. La poésie et la création sont la revendication de ce pouvoir d’édification pour chacun, une force qui peut « insuffler cette énergie aux pierres que nous sommes ».
Les cinq ensembles suivants, de chacun dix à vingt pages, invitent le lecteur à entrer dans une poésie qui dit le souffle qui passe sur la terre, l’amour dans le soupir de l’eau et le blanc de l’air, une poésie qui prend les éléments, feu, air, terre, eau à témoin du devenir des hommes et les couchent sur l’espace vierge de la page :
« Continent ne fait plus monde
le monde qu’il fut ne tient plus
sur la chevelure d’une fille… »
Le poète nous invite à nous redresser tous collectivement et non plus dans cette illusion de l’entre-soi, à couvrir la terre de mots et non plus de maux, à refuser la haine, à entrer dans l’amour.
« Ce mot chère marie, loin de tout crocodile, pour te dire que j’aime ton être, ta langue, tes mots, ton sourire, tes cheveux, même si je vois y pointer le désespoir d’un vieillir avant l’heure qui guette la parole, n’ayant su se défaire de ses méandres et prise de vertige au bord de son vide »
Les mots du poète comme antidote à l’usure du monde, à sa fatigue, à sa fatalité morbide, pour remplir les vides, vaincre les immobilismes, contrer la course à l’or et aux richesses, à la toute puissance marchande…
Marie-Josée Desvignes
le 04/07/16
article précédemment édité sur Autre Monde