Etty Hillesum est entrée dans ma vie fort tardivement. C’était juste un mois avant la disparition de mon père, en 2010 donc. Et je vécus alors successivement deux révélations. La seconde précisément peut-être grâce à la première.
Bouleversante compagne de vie, à soixante ans de distance, j’ai entretenu un dialogue avec elle comme si elle n’avait jamais quitté ce monde.
Sa quête de son intériorité par l ‘écriture nous révèle à nous mêmes.
Etty lit Rilke, les auteurs russes et est boulimique de connaissances. En 1941, elle rêve de devenir écrivain et tient un journal.
Nous n’avons d’elle que ces notes, journaux et correspondances, publiés sous le titre de Etty Hillesum, une vie bouleversée en 1981. Elle souffre de dépression, est agnostique malgré des origines juives et s’intéresse aux écrits de Maitre Echart et ce que ce dernier dit du détachement.
Au fil de son journal, alors en camp de concentration, son écriture se fait de plus en plus spirituelle et au cœur même de l ‘enfer sa parole se fait de plus en plus apaisée et apaisante, elle accepte les douleurs physiques et le désespoir, elle atteint à la sérénité. Dans les moments plus difficiles elle invoque Dieu.
Ses notes sont alors une pure grâce, atteignent au poème, comme dans ce passage où elle évoque son moi profond :
« le 26 aout 1941, mardi après-midi
Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour.
Il y a des gens, je suppose, qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent Dieu en dehors d’eux. Il en est d’autres qui penchent la tête et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-mêmes. »
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« Le 2 juillet 1942, jeudi matin,, 7h et demie
… à ma fenêtre on ne voit que des nuages et des cimes d’arbres agitées, réunies en un grand cercle autour d’elle, et puis cet arbre, qui m’est tout personnel. Cette nuit, quelques étoiles dansaient autour de son tronc. Seuls le ciel et un peu de verdure devant ma fenêtre et en bas de temps en temps le petit bruit d’une ville. Je vais veiller à ne pas me montrer trop téméraire. Hier après-midi, après ce jasmin, cela a failli arriver. En allant chez lui, j’ai croisé des roses rouge foncé qui grimpaient contre le mur d’une maison prise dans une longue enfilade d’autres maisons. Et j’ai voulu cette fois encore donner tout mon coeur insconstant à ces roses, et c’est là qu’une multitude de petites violettes ont soudain surgi d’un muret de jardin. Plus tard, j’ai demandé à S. : « N’est -il pas presque impie, à une époque comme celle-ci, de croire autant en Dieu ? Et n’est-il pas frivole, lui ai-je demandé, de trouver encore la vie si belle ? »
Il n’est pas au-dessous de la dignité humaie de souffrir. Je veux dire : on peut souffrir avec, ou sans dignité humaine. Je veux dire : la plupart des Occidentaux ignorent l’art de souffrir, tout ce qu’ils savent faire, c’est se ronger d’angoisse. Ce que vivent la plupart des gens, ce n’est plus une vie : peur, résignation, amertume, haine, désespoir. Mon Dieu c’est bien compréhensible ! Mais les priver de cette vie, ce ne serait pas les priver de grand-chose ? Et je me demande s’il y a une grande différence entre être dévoré ici de mille angoisses, ou dévoré en Pologne par un millier de poux et par la faim. Il faut accepter la mort comme élément naturel de cette vie, même la mort la plus affreuse. […]
[….] Ce n’est pas de la résignation, certainement pas. Qu’est-ce que je veux dire alors ? Peut-être ceci : J’ai déjà vécu cette vie mille fois et je suis morte mille fois. Que peut-il m’advenir d’autre ? »
« Je ne vois pas d’autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et anéantisse ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. »
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Etty lisait Rilke et Rilke, poète habitué aux visitations des anges aurait sans doute apprécié de rencontrer un tel ange.
Rilke – Poèmes à la nuit
Lorsque ton visage me fait ainsi me consumer,
comme une larme celui qui pleure,
que je multiplie mon front, ma bouche
autour des traits que je connais pour tiens.
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il me semble que, par-dessus ces ressemblances
qui nous séparent parce qu’elles sont doubles,
déployer une pure identité.
[Vers lisibles sur une esquisse et biffés par Rilke N.d.T]
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De visage à visage,
ô cette élèvation.
Des coupables, jaillissent
renoncement et pardon.
N’est-il pas froid, le souffle des nuits
splendidement lointaines
qui parcourent les siècles.
Elève l’aire de ton cœur.
Les anges soudain
Voient la récolte.
***
Ce qui s’offre à nous avec la lumière des étoiles
ce qui s’offre à nous,
capte-le tel un monde sur ton visage,
ne le prends pas à la légère.
Montre à la nuit que tu reçus silencieusement
ce qu’elle a apporté.
Ce n’est que lorsque tu te seras confondu avec elle
que la nuit te connaîtra.
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