C’est un chant d’amour et un texte très engagé que nous livre Anne-Lise Blanchard, qui, entre 2014 et 2016, a rejoint une association qui œuvre auprès des Chrétiens d’Orient persécutés et y découvre d’abord les villes fantômes de Homs et Quousayr.
« C’est à Damas, en déambulant aux côtés de Sofia, notre jeune guide, que j’ai appréhendé la fragilité d’un peuple, d’une civilisation. »
Entre compagnonnage et témoignage elle veut porter la parole de ces peuples qui luttent en restant sur leurs terres dévastées, assiégées, et aux mains des islamistes.
Ecouter et recueillir des fragments de ce quotidien ignoré où se perpétue un véritable génocide, avec partout le même sentiment d’abandon et d’impuissance.
Rendre compte du sang répandu et de la dignité de ces hommes et ces femmes, Anne-Lise en a fait la promesse. Mais alerter aussi car « le danger sera là bientôt chez vous, donc il faut être vigilant, éveillé, être vrai », disait le père Ephrem, dominicain irakien rencontré à Erbil Ainkawa.
Chaque poème porte en regard ces phrases percutantes mêlées d’une violence vécue quotidiennement. Chaque poème est daté et nomme un lieu traversé, de Maaloula à Damas, d’Alep à Qalamoun ou Homs… et les villes assiégées des pays limitrophes, Erbil, au nord de l’Irak Zahlé, au Liban ; Araden ou Duhok, en Irak.
Lieux d’où ont surgi des poèmes troublants par leur douceur portant violence et mort, beauté et foi, pour dire ce réel et son ineffable.
« Je contemple les façades arides de l’Anti-Liban
je vois la brise de feu qui poursuit le vieil Elias
les prières collent ses lèvres
Elias et les siens s’abreuvent aux pierres
Un pourpoint de lumière les revêt
dépouillés de leur terrestre impatience. »
Dans cette nuit où elle met ses pas, au son des cloches qui ponctuent le temps, ils vont vêtus de blanc dans leur « secrète prière » , dans la chaleur et la poussière, chaque ville déchiquetée pourrait aussi bien être Lyon que Bruxelles.
« D’ici quelques années, l’Europe boira le même calice que nous », dit la voix portée en page de gauche. Là où chaque page égrène ainsi une sentence, une menace ennemie « tu te convertis à l’Islam ou on te coupe la tête », un constat amer ( « Tout ce que les politiciens nous donnent ce sont des faux espoirs »), un crime commis sur l’innocence, un drame… répétés par un témoin, un de ceux qui vivent ces calvaires.
Murs noircis, croix brisées, « j’étais parmi ceux qui vivaient là/dans la nuit des consciences… et les yeux des enfants/sans bruit se gravaient dans ma mémoire ».
Sans trêve aucune, le ciel déverse son eau et ses larmes sans jamais laver la peur, ni ces corps « écorchés », ces terres « éviscérées », « dans la nuit de la bouche/ la langue emmurée »
Et l’espoir toujours, aux cœurs des Chrétiens, tient à ce que c’est une religion de résurrection où la vie triomphe toujours de la mort.
« La paix est descendue
sur Maaloula
ce pastel léger
en forme de balade
où s’abrite un âne
s’égrène une flûte précaire
et le bleu cette couleur des anges
enrobe la pierre tendre
embaume le cœur des hommes
A l’ombre lumineuse
de Maaloula
je n’ai plus rien
à concéder
à la solitude. »
Pourtant, toujours plus nombreux les crimes, les exactions, les vols. Dans le silence et la peur qui rôde, la beauté se suspend (une feuille d’oranger, le chant d’un oiseau), et à l’innocence volée, cette berceuse pour Cristina, « fleur oiseau », 3 ans, enlevée des bras de sa mère
« la peur, le cri
ont cloué mes yeux »
Voler, détruire, pousser à l’exode mais… ne pas partir, rester pour qu’ils ne se croient pas vainqueurs.
Damas dont le silence entêtant a « baillonné l’âme des oiseaux », les rires et les « chuchotements des fontaines », « l’éclat enjoué des orangers »…
L’enfer d’Alep, « Alep au long martyre », Alep plongée dans le noir et la peur, « le soleil réfugié dans les cailloux », Alep « à la blancheur de lait
devenue ce lointain mouroir
sans fin ni commencement »
La lutte des Chrétiens d’Orient se fait dans la sagesse et l’humilité. Ils luttent pour demeurer, pour reconstruire inlassablement. Et toujours ce vent léger qui se répand « salam, salam, salam »
L’épilogue en effet délivrera comme une promesse d’espoir, porté par la foi lié à ce courage de ceux qui luttent encore.
« Cela moutonnait à l’infini
cela créait l’espace
le troupeau se faisait immobile
Formes humaines dont le regard
dévore la lumière
quel hiver est tombé
sur vos maisons vos champs
ne vous laissant en poche
qu’un jamais plus »
Roulant vers Duhok, 2 janvier 2015
****
« le ciel a feulé
la terre se soulève
le cœur bat dans le ventre
lumière grise comme après
un feu de feuilles
la rue sans bouger »
Alep, août 2015
***
Ici arbres et statues
se font piliers de mémoire
veilleurs de vie
attelés à démêler le chaos
Meshta Halou, août 2015
****
« Du bruit torride
de fer et de feu
il a protégé sa petite sœur
La glorieuse armée libre
les a glanés
Sur le sol enlacés
ils gisent
en une rosace rouge
jamais rassasiée »
****
« Vous quitterez
jasmins et orangers
leurs oiseaux
les fontaines
et les conversations du soir
qui se prolongent ».
Anne-Lise Blanchard nomadise entre les Alpes, Lyon et le Proche Orient où elle œuvre avec une organisation humanitaire auprès des chrétiens persécutés (SOS Chrétiens d’Orient).
Poète, elle a publié une vingtaine de recueils de poésie ainsi que des nouvelles et des poèmes en anthologie.
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