Et le rossignol chantait (inédit)

 

[…]

Nos mémoires sont emplies de murmures de fantômes. Aucune parole, aucune aube, aucune musique consolatrice n’épuisera jamais les larmes qui s’écoulent de la nuit de l’absence.

Il faudrait dire avec des mots ciseaux pour tailler le silence, des mots oiseaux évadés des cages du souvenir, mais du fond du puits obscur, l’âme soupire et retient son souffle. La transcription au gré du hasard se fait d’encre trop empesée, se dépose telle un limon sur les rives du cœur, la sarcle d’abîme et de mélancolie, retourne la herse des sentiments. Des fantômes de chair dansent sous nos paupières. Nos yeux scrutent en vain dans le noir, nous tendons l’oreille, nos mains cherchent appui. Seuls les mots avec leur mystère nous tiennent debout dans le passage du temps. Dans l’oubli de vivre s’inscrit la punition pour celui qui jamais n’a trouvé sa place, l’a cherchée en vain jusqu’à son dernier souffle. Il n’est pas de destination, seul le chemin compte.

[…]

Cinq heures le matin, elles sont trois, trois silhouettes drapées de noir dans le tumulte des parfums et de l’air, l’esprit calme, le corps étreint. Une brise légère caresse leurs paupières, soulève les pans de leurs robes longues, glisse sur les eaux du port.

La lune en soie noire et dentelles blanches drape l’horizon dans ses jupes. Un silence de larmes flotte sur le port, s’étire jusqu’au cœur de la ville. S’irise une brume claire, se glisse un murmure sourd, le cri des mouettes tournoie au-dessus de l’eau. Plusieurs jours avant de faire retour sur ces terres d’exil, j’ai attendu. Je ne savais pas ce que je craignais le plus. Te retrouver ou te perdre encore une fois. La ville même m’est apparue étrangère. Les bruits et le souffle de la terre, le rythme de sa respiration sous mes pas, ses odeurs, sa lumière. En elle, englouti, ton silence. Je n’ai pas trouvé les secrets scellés sous des pierres trop lourdes, des chagrins qui avaient encombrés ta jeunesse. Je me suis refusée à trahir ce silence douloureux que tu n’as pas voulu partager avec moi et qui avait inondé tes poumons. Au seuil d’une aube limpide, je m’avance sur les pierres et le marbre, me heurtant encore à des portes verrouillées. Je n’ai pas délivré l’amertume, j’ai laissé le rossignol flirter avec le ciel, emportant avec lui nos sourires et nos rires.

Chaque heure du jour et de la nuit a son silence. Ce lieu que tu aimais a gardé trace de tes pas. Là où les pierres pensent se respirent tous les secrets. Je marche le long de la jetée. Un chant profond monte, venu de plus loin… Turri, trri, trri. huit fri fi ti tii,.. fffffff…. fffff…

Dans quelle attente se révèle-t-on ? Quel chant ultime berce nos cœurs ? Ce murmure, l’entendent-elles, ces trois femmes de noir vêtues, ces trois générations ?

Aube claire d’une nuit d’été, des rêves frêles et nombreux, des anges par-dessus les toits de la ville. Dans les dernières lueurs du jour ou un peu avant, quand la clarté s’avance fragile encore, que celle des lampadaires diminue, que les battements de mon cœur s’apaisent, je m’apprête à faire mes adieux. Et pour toi, le rossignol chante…

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